Sous la caution de deux organisations estudiantines, l'ONEA et l'ARE, les anti-Benflis projetaient un rassemblement traitant de la préparation d'un congrès bis du FLN. Cette rencontre a avorté suite à l'intervention musclée des miltants du parti. Pins-Maritimes. Jeudi 14 août. 7h40. “Venez dresser un barrage, les autres arrivent”, interpelle un des organisateurs de la rencontre des partisans du Président, à trois mètres de la Foire d'Alger. Qui sont les autres ? Des militants FLN. Ces derniers ont décidé d'empêcher cette rencontre du cercle présidentiel devant se tenir dans la grande salle du hall, à la Foire, et ce, depuis qu'elle a été annoncée, la semaine dernière. “Contrôlez tous les véhicules qui passent. Même le piéton qui n'a pas de badge est interdit d'entrer”, recommande un des organisateurs. Et de spécifier à l'adresse d'un autre : “Ne parle pas trop avec lui. S'il n'a pas de badge, tu l'envoies balader.” 7h45. L'instruction de tourner “obligatoirement” les badges a été donnée. Pourquoi ? Les badges confectionnés pour la rencontre comprenaient, sur leur face antérieure, le sigle du FLN, et, au dos, le cachet de l'Organisation nationale des étudiants algériens (ONEA), sous le couvert de laquelle le cercle présidentiel organisait la rencontre de jeudi. “C'est pour que les autres ne trouvent pas prétexte à saborder la rencontre en voyant des badges FLN.” “Venez, venez, venez ! Ils arrivent ! Surveillez les piétons ! Celui qui n'a pas de badge ne doit pas y accéder !”, s'écrie un des organisateurs. “Où est ton badge ?”, demande-t-il. “Je veux seulement voir !”, répond le passant. “Aya tir ! Retourne d'où tu viens”, tranche-t-il. Un grand bus de voyageurs est intercepté de loin. “Arrêtez-le ! Faites-les descendre pour vérifier leurs badges”, demande l'organisateur. Un des passagers descend et lui montre un document. “C'est bon ! Ce sont les nôtres. Laissez-les passer”, conclut-il. “Aidez-nous, aidez-nous à les filtrer, ils (les militants FLN, ndlr) arrivent”, implore-t-il. 8 heures. El-Aoufi, le tonitruant député FLN de Mascara, arrive. Il interroge Kara Mohamed Seghir, un des organisateurs de la rencontre et ex-député FLN de Lakhdaria, non reconduit sur les listes électorales du parti : “Vous avez passé la nuit ici ?” “Oui”, lui répond-il en précisant : “Les bâtons sont prêts et tous les moyens ont été préparés pour riposter aux attaques.” “Ne t'inquiète pas, on est debout depuis 4h. On est des ouled l'blad. Ce n'est pas comme les Algérois qui n'arrivent que maintenant.” “Bonjour, on vient de la wilaya de Mila”, se présente un citoyen à M. Kara. “Vous avez un badge ?”, l'interroge ce dernier. “Non”, lui répond-il. “Attendez, on va s'occuper de vous. Garez votre véhicule et c'est moi qui vous ferai rentrer. C'est moi Kara”, se présente l'ex-député. “Lui, c'est l'ex-directeur du CHU Ben-Badis.” Quelque 200 policiers en civil étaient postés de part et d'autre de la route. La plupart d'entre eux étaient badgés. Ils étaient très jeunes et reconnaissables du fait qu'ils n'ont, à aucun moment, été inquiétés par les organisateurs. La guerre des badges “Ceux de Benflis ont les mêmes badges que nous ! Je reconnais deux d'entre eux !”, s'écrie un des organisateurs tout en précisant : “Rahoum idirou les badges el-hik.” “Pourquoi vous faites tout ça ? Combien vous avez été payés ?”, interroge un militant FLN les organisateurs. Ce dernier réplique : “Tu es venu pour faire de la politique ? Rouh mena !” “Dans un moment, je vais entrer. Vous allez voir. Demande à Kara, il te dira qui je suis. Personne ne m'empêchera d'entrer”, lui répond le militant FLN. 8h20. Rabha Tounsi et Malika Drid de l'Organisation des familles victimes du terrorisme arrivent. “Bouteflika veut la guerre civile ou quoi ?”, ont-elles commenté au sujet des bagarres qui éclataient çà et là, aux abords des Pins-Maritimes. “Laissez-nous passer !”, s'écriaient-elles, tout en provoquant la cacophonie parmi les organisateurs et une importante bousculade. À ce moment précis, les policiers en civil, placés aux abords de la route, ont mis leurs gilets. Ces derniers ont malmené les deux femmes et les ont prises à partie pour les éloigner de la foule. “Laissez-nous !”, crient-elles avant d'ajouter : “Vous défendez Bouteflika ? Laissez-le seul comme un chien. Bouteflika a descendu les repentis du maquis. Il leur a tout donné et maintenant, il veut la guerre civile. ça y est ! On a compris le jeu.” 8h50. Un militant FLN, non badgé, intègre son véhicule et force le barrage dressé par les partisans du Président. Ce qui a provoqué une bagarre générale entre les partisans de Benflis et les pro-Bouteflika. “Benflis Président ! Benflis Président !”, “Ahnaya houma l'FLN”, “Bouteflika ya Atika, el-koursi ila lika !" Cette cacophonie a permis, par ailleurs, à quelque 20 personnes, munies de badges, de passer à la hâte pour intégrer la foule. C'étaient des militants FLN venus défendre le sigle de leur parti contre les “usurpateurs de l'ARE et de l'ONEA”, a expliqué l'un d'eux. Ce qui a contraint les policiers à intervenir et à dresser eux-mêmes, à proximité du portail de la Foire, un autre barrage. Ce dernier a été tout de suite forcé par les militants du parti de Benflis. Cinq d'entre eux ont même pu forcer le portail officiel de la Foire. Il était 9h. À l'entrée du portail, il y avait un chien berger allemand. Ce dernier a été maîtrisé par le policier qui le tenait. Parmi ces militants qui sont entrés dans la cour de la Foire, on pouvait reconnaître Badredine Adimi, le mouhafedh d'Hussein-Dey. “Djeïch, echaâb maâk ya Benflis !”, commençaient à scander les assaillants. En tentant de les faire sortir, les policiers ont eu droit à une véritable leçon de morale de la part de ces derniers : “Qu'est-ce que vous avez vous ? Un parti au pouvoir détenant l'essentiel des portefeuilles ministériels, la majorité à l'APN et aux assemblées locales ? C'est du jamais vu ! Il faut que vous compreniez cela ! Tout ce qu'on a sacrifié pour ce pays est en train de partir en fumée ! Vous êtes jeunes, vous devez comprendre ça ! Réveillez-vous !” La foule devenait de plus en plus difficile à maîtriser. Des CNS se sont déployés tout autour des issues pouvant conduire à la Foire. Les militants FLN scandaient à ce moment : “Zerhouni assassin ! L'aârouch khaoutna !” 9h05. Quelques figures connues du FLN commençaient à arriver, Aziz Djohri, un responsable de l'organique, Bouguetaya, Abdelmadjid Attar, ministre des Ressources en eaux… Un militant FLN avait repéré l'entrée commerciale qui n'était pas encore surveillée. Cette entrée a été tout de suite prise d'assaut par quelque 200 militants du FLN. Une fois à l'intérieur, les partisans du secrétaire général du FLN, Ali Benflis, se sont retrouvés les mains nues, à quelques mètres des partisans du Président. Ces derniers tenaient des barres de fer, des bâtons et des bouteilles en verre. Par ailleurs, au moins 14 blessés ont été dénombrés parmi les protagonistes, lors des affrontements. Les CNS et les policiers, qui se sont déployés en grand nombre pour permettre la réunion des partisans du Président de se tenir, n'ont à aucun moment permis le contact entre les deux protagonistes. Entre-temps, les partisans du Président ont entamé leur réunion dans la sérénité la plus totale. Il était 9h45. Dans la salle des réunions, les partisans du Président étaient pour la plupart des mineurs. Leur rencontre a été entamée par l'hymne national. Un membre de l'assistance s'est levé alors pour scander : “Benflis Président !” Ce qui a provoqué une cacophonie générale. La sono et le microphone ont été arrachés par les militants FLN qui ont alors mis la salle des réunions sens dessus dessous. Ce qui a semé la panique parmi les partisans du Président. Rachid Harraoubia, ministre de l'Enseignement supérieur, Amar Tou, directeur général de l'Autorité de régulation des P&T, Tayeb Louh, ministre du Travail, et Saïd Barkat, ministre de l'Agriculture, ont alors quitté la salle en trombe. Amar Tou a été aperçu quittant la salle par la fenêtre, alors que des témoins affirment avoir vu Saïd Barkat trébucher et tomber à même le sol. C'était la foire d'empoigne. Les partisans du Président n'ont pu tenir leur rencontre. Mais, pour rattraper le coup, ils ont tenté de distribuer un communiqué dans lequel ils font part de la situation du FLN et des résultats du VIIIe congrès. N. M. “Une menace sur le processus démocratique” La coordination des mouhafadhas du FLN d'Alger a dénoncé, hier, la complicité de l'administration dans l'organisation de la rencontre du cercle présidentiel aux Pins- Maritimes. Dans une conférence de presse organisée hier, les animateurs de la coordination ont souligné que certaines sphères de l'administration “ont manqué à leur devoir de neutralité et se sont transformées en instruments de déstabilisation d'un parti politique”. Devant ce comportement de l'administration qualifié, en outre, de “véritable menace à l'ordre public”, les militants FLN d'Alger ont pris l'initiative de se réunir à la Foire pour “exprimer leur désapprobation et dénier le droit à ces “chargés de mission” de parler et d'agir au nom du FLN”. Pour la coordination, ces manœuvres, orchestrées dans le seul but “d'assouvir les desseins personnels de pouvoir”, représentent “une menace pour le processus démocratique et le pluralisme politique”. Par ailleurs, les militants FLN d'Alger ont réitéré, à cette occasion, leur soutien au SG de leur parti, M. Ali Benflis. N. M.