Inouï ! Karzaï, le président mal réélu de l'Afghanistan, se retourne contre ses mentors américains. “J'ai dit à Barack Obama qu'il n'est pas possible de normaliser la situation par des moyens militaires comme on s'entête à le faire depuis huit ans. Nous voulons la paix et la sécurité, et je m'engage de toutes mes forces à les rétablir.” Tenu devant des observateurs étrangers, le propos a fait sourire plus d'un, surtout que son auteur a volé sa réélection avec le silence complice de tous les pays occidentaux qui sont en Afghanistan sous couvert de lutte contre le terrorisme. Après avoir fait le dos rond, voilà Karzaï qui avait été introduit à Kaboul après 2001 sur un char américain, qui accuse ses parrains occidentaux d'avoir procédé à des manipulations pour truquer les résultats de sa seconde élection, citant nommément l'Américain Peter Galbraith et le général français Philippe Morillon, représentant l'un les Etats-Unis, l'autre l'Union européenne au sein de la commission de surveillance du scrutin ! L'ingrat. Karzaï a rué dans les brancards dès lors que la coalition occidentale qui occupe son pays a donné sa bénédiction pour réintroduire les talibans dans le jeu institutionnel afghan. Il a le pressentiment que les Etats-Unis cherchent à légitimer l'opposition des talibans à son régime. Il y a peu, la Maison-Blanche limitait ses ambitions afghanes à la lutte contre la corruption et le trafic de drogue, ne réclamant que la mise sur pied d'une commission ad hoc alors que les Européens, plus exigeants, voulaient voir des têtes tomber. Notamment celles des plus corrompus : le frère de Karzaï, Ahmad Wali qui a fait son beurre dans l'opium, le général Abdul Rachid Dustum, ancien chef de guerre, sanguinaire, impliqué dans le massacre de milliers de prisonniers, le maréchal Mohammad Kassem Fahim, un trafiquant notoire, très proche de la famille Karzaï… Le premier est toujours fidèle au poste, en dépit de sa mise en cause l'an dernier dans un article du New York Times. Le second est rentré de son exil volontaire pour occuper un poste officiel en échange de son appui à Karzaï et le troisième, tadjik, est également d'importance à Karzaï. L'ancien favori des Américains n'arrête pas, depuis deux semaines, de donner de la voix contre la coalition. Devant un groupe de 1 500 chefs réunis en “choura” à Kandahar, il a martelé déterminer notre sort, être un président indépendant et non pas une marionnette, et empêcher toute immixtion étrangère dans nos affaires intérieures ! Dans la salle au premier rang, le général William Mayville, en charge des opérations de l'OTAN. Mais l'homme qui s'amuse ainsi à en appeler à la fibre patriotique de ses concitoyens sait qu'il a une chaîne à la patte : après avoir boudé des appels de la Maison-Blanche, il a adopté un ton plus conciliant lors d'un entretien téléphonique avec Hillary Clinton, protestant de sa bonne volonté et de son désir de coopérer pleinement tant avec le département d'Etat qu'avec le Pentagone. Alors, c'est quoi ses messages musclés ? Tout cela procède d'une tactique parfaitement étudiée, selon des observateurs de la scène afghane qui avouent ignorer l'objectif ! Il reste que fin mai, des milliers de soldats supplémentaires attendus de l'Otan seront à pied d'œuvre dans la région de Kandahar, fief des talibans et berceau de la famille du président. L'opération, promet-on, marquera un tournant crucial dans la conduite de la guerre. Mais depuis huit ans que dure la campagne, la coalition a vu se multiplier les déconvenues, les retournements et les échecs. Or, voici que Karzaï se plaît à étonner tout son petit monde. Comme lorsqu'il affirme : “Si l'on accroît la pression sur moi, je jure que je me rallierai à la cause des talibans.” Une petite phrase lourde de sous-entendus, à l'adresse aussi bien de ses protecteurs d'aujourd'hui que de ses éventuels alliés de demain. Car le politicien retors a déjà tissé des liens étroits avec la Chine et l'Iran, deux pays qui attendent depuis longtemps que le fruit, enfin arrivé à maturité, leur tombe entre les mains. Pas si farfelu, après tout, ce Karzaï. Sinon pour Obama.