Ils avaient, pour la plupart, à peine la trentaine, l'âge où l'on croque la vie à belles dents. Et rien ne les prédestinait peut-être aux rôles qu'ils ont endossés malgré eux. À l'âge où beaucoup préfèrent le confort de la compromission et de l'allégeance, eux, ils ont choisi le chemin d'un idéal de liberté et de justice, ces mots sublimés par les poètes, face à une redoutable machine de répression. Armés de conviction, confits à une culture millénaire qu'ils ont puisée dans les livres et au contact d'érudits comme le défunt Mouloud Mammeri et qu'ils ne veulent pas voir disparaître, ils ont affronté un régime dont le socle dogmatique tient à la fois d'un curieux mélange de Staline et du bâathisme. Qui sont-ils ? Trente ans après le Printemps berbère dont nous célébrons aujourd'hui l'anniversaire, les “24 détenus” que le régime désignait à l'époque sous le vocable “d'agitateurs” apparaissent aujourd'hui, et de loin, comme les hérauts du combat démocratique en Algérie. Arrêtés pour la plupart au mois d'avril 1980, ils ont été déférés devant la cour de sûreté de l'Etat de Médéa, de triste mémoire, accusés “d'intelligence avec l'ennemi”, suprême offense pour la République du parti unique avant d'être libérés quelques mois plus tard sous la pression de la rue et probablement des chancelleries étrangères. Leur libération signa alors la naissance d'une nouvelle conception de l'Algérie, celle de la diversité de ses cultures et de son histoire. Méconnus du grand public, hormis certaines figures restées sous les feux de la rampe, ignorés par l'histoire officielle, ils constituent pourtant et malgré eux les acteurs en compagnie, bien sûr, de milliers d'autres anonymes, les véritables acteurs du renouveau algérien. Ils ont pour ainsi dire planté les premiers jalons des libertés démocratiques en Algérie. En plus d'avoir pu cristalliser autour de leur combat un mouvement de sympathie au sein de la population, ils ont également semé les graines du rejet de la pensée unique puisque d'autres soulèvements, comme les événements de Constantine ou encore Octobre 88, éclateront quelques années plus tard. Sous d'autres latitudes, ils auraient eu sans doute droit à tous les égards de la République. Mais pas ici. Seul réconfort pour eux : ils ont été immortalisés dans une sublime chanson de l'inénarrable défunt Matoub Lounès. Que deviennent-ils aujourd'hui ? Si certains à l'image de Mustapha Bacha, figure de proue du RCD au début des années 90, Salah Boukrif, Mâamar Berdous, Achour Belghezli et M'hamed Rachedi ne sont plus de ce monde, d'autres sont installés à l'étranger comme Mokrane Chemim (Belgique), Lamari Idriss ou encore Aziz Tari (France), selon les témoignages que nous avons pu recueillir. Pour d'autres, ils sont ou retraités ou encore en fonction, loin des feux de la rampe. C'est le cas d'Ahmed Aggoune (retraité), du Dr Mouloud Lounaouci (ancien responsable au sein du RCD), officiant dans un cabinet médical, de Djamel Zenati (ancien membre en vue du FFS), d'Idir Ahmed Zayed (université de Tizi Ouzou), de Saïd Khellil, ancienne figure du FFS (hôpital de Tizi Ouzou), d'Arezki Abboute (retraité), d'Ali Brahimi (député), de Halat, de Stiet ou encore de Rachid Aït Ouakli (enseignant à Azazga). Mais seules trois figures sur la liste qui n'est pas exhaustive restent populaires dans le milieu politico-médiatique et dans une certaine mesure au sein de la population. Il s'agit notamment du Dr Saïd Sadi, président du RCD, de Ferhat M'henni, ancien chanteur, animateur du Mouvement de l'autonomie de la Kabylie (MAK), et d'Arezki Aït Larbi, journaliste au Figaro toujours en fonction. Mais quel que soit le destin des uns et des autres, même oubliés, ils restent pour l'histoire de la Kabylie, et au-delà de l'Algérie, les hérauts de notre identité retrouvée.