Hier à Oran, le chef du RND a tenté de justifier le harcèlement du pouvoir contre la presse, en assumant publiquement le prétexte commercial. Ahmed Ouyahia circonscrit la guerre pouvoir-presse à un problème purement commercial. Dans une conférence de presse qu'il a animée hier à l'Université des sciences et de la technologie d'Oran, où se tenait l'université d'été de son parti, le patron du RND avait déclaré en substance que, “concernant la position du parti vis-à-vis de la suspension de certains quotidiens nationaux, la problématique se situe au niveau des relations économiques”. “Nous espérons, a-t-il ajouté, que ce problème sera résolu dans les meilleurs délais.” La guerre du pouvoir contre certains titres de la presse indépendante a commencé exactement le jeudi, 14 août, par les mises en demeure envoyées aux journaux. Depuis, six journaux ont été suspendus. Trois d'entre eux ont pu reparaître après avoir accepté de payer même les factures des imprimeries, même celles indues. Aucune voix officielle, depuis, ne s'était exprimée sur cette question. Entre-temps, les éditeurs, les journalistes, les partis politiques, les syndicats, les organisations de la société civile et les citoyens ont dénoncé ces mesures de suspension arbitraires prises sous de fallacieux arguments commerciaux. Comme par hasard, c'est encore une fois Ouyahia qui prend sur lui d'assumer ces mesures qu'il dit “économiques”. Mais trop tard. Parce que les responsables des journaux et les journalistes n'en sont plus là. Ils sont désormais convoqués par la police et la justice. Ouyahia fait mine d'ignorer que l'argument commercial ne tient plus la route dès lors que les imprimeries elles-mêmes reconnaissent, au moins par leur silence, qu'elles ont violé les conventions qui les lient aux journaux. Mais les faits sont là. Depuis le règlement des factures par trois journaux, le conflit pouvoir-presse s'est déplacé et ne peut plus être circonscrit à la relation entre les éditeurs et les imprimeries. La preuve : trois journaux sur les six suspendus ont payé l'intégralité des montants réclamés, mais restent soumis encore à des pressions du pouvoir. Pour preuve, ce que subissent actuellement Liberté et Le Matin. Le directeur de la publication du Matin, Mohamed Benchicou, a été placé sous contrôle judiciaire depuis mercredi dernier. Indûment, puisque la détention des bons de caisse qui lui vaut cette décision judiciaire n'est pas reconnue comme étant illégale. Le directeur du Matin, qui est donc interdit de quitter le territoire national, se présentera en plus chaque samedi devant le juge du tribunal d'El-Harrach. Le directeur de publication et le rédacteur en chef de Liberté, respectivement Farid Alilat et Saïd Chekri, ont été convoqués par la police judiciaire, mercredi dernier, suite à une autosaisine du parquet. Un autre responsable de notre journal, en l'occurrence Ali Ouafek, directeur de la coordination, et le journaliste Rafik Hamou ont été, pour leur part, convoqués jeudi dernier au commissariat central. Ouyahia assume donc publiquement “la chasse” à la liberté de la presse. Auparavant, et plus exactement le 13 août dernier, le Chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, a convoqué une réunion restreinte au Palais du gouvernement. Abdelaziz Belkhadem, ministre des Affaires étrangères, Tayeb Louh, ministre du Travail, Abdelatif Benachenhou, ministre des Finances, Khalida Toumi, ministre de la Culture et de la Communication, les directeurs généraux de la SIA, de la SIO, de la SIE et de la Simpral ont pris part à cette rencontre au cours de laquelle Ouyahia avait pris la décision de suspendre les journaux sous n'importe quel prétexte. Même si les directeurs d'imprimerie lui ont signifié que l'ensemble des titres de la presse ont des dettes chez eux. Même si, à Oran, Ouyahia s'est exprimé en sa qualité de secrétaire général du RND, il n'en demeure pas moins qu'il est aussi le Chef du gouvernement et représente, donc, la première voix officielle. C'est le premier responsable de l'Etat algérien à le faire. En 1998, il était déjà à la tête du peloton d'exécution de la presse libre. Nadia Mellal Les chiffres, parlons-en Les montants des dettes des journaux non suspendus, rapportés par Le Soir d'Algérie dans ses éditions des 27 et 28 août derniers, battent en brèche l'argument commercial. L'ardoise laissée par 38 titres de la presse nationale (privée et publique) chez la SIE est de l'ordre de 402 500 862,96 DA. Dans le détail, le montant des dettes des cinq titres de la presse publique est évalué à 81 236 184,39 DA au 31 juillet 2003. La SIE procède, selon Le Soir d'Algérie, au tirage de dix hebdomadaires qui n'honorent pas leurs factures depuis le 31 décembre 2002. Ces hebdos cumulent une dette de l'ordre de 12 624 183,19 DA. La SIE assure, s'agissant de la presse privé, le tirage d'au moins 24 quotidiens, dont les six titres suspendus. Au 31 juillet 2003, les 24 quotidiens tirés à l'est doivent la bagatelle de 306 111 442,68 DA. Le montant des journaux suspendus est de 116 852 797,28 DA. La Simpral, elle, imprime 29 titres dont aucun n'a été suspendu. Ces titres ont une dette non encore honorée de 211 247 605,51 DA. Pour la SIA, au 30 juillet 2003, la dette d'El Moudjahid auprès de cette entreprise est de l'ordre 7 738 506,29 DA, celle de Horizons s'élève à 1 717 265,05 DA, et de Echaab, 3 381 922,39 DA. Les réactions Comité des citoyens pour la défense de la république (CCDR) “L'aveu d'un échec” Echouant dans sa tentative de bâillonnement des libertés d'expression et d'opinion, le clan au pouvoir poursuit son escalade anachronique en faisant convoquer par la police le directeur du quotidien Liberté, après avoir mis sous contrôle judiciaire le directeur du journal Le Matin. Tout en condamnant énergiquement ces procédés de harcèlement indignes, le CCDR apporte son soutien total aux plumes de la liberté. L'entêtement de ce clan à perdurer coûte que coûte le fait s'enfoncer davantage dans le ridicule et l'irréparable. Discrédité, coupé du peuple, n'ayant plus rien à perdre, il risque dans un sursaut moribond de mettre en danger la stabilité et la cohésion nationale. Toutes les forces patriotiques doivent rester vigilantes et mobilisées, prêtes à faire front contre toutes ces dérives qui mettent en péril les fondements de la République. Coordination intercommunale de BEJAIA ”Ce sont les manœuvres d'un régime aux abois” Le harcèlement judiciaire et policier à l'encontre des journalistes et des responsables de journaux, particulièrement messieurs Benchicou Mohamed et Alilat Farid, respectivement directeurs des quotidiens Le Matin et Liberté, traduit par l'acte les velléités d'un régime aux abois de museler la presse notamment indépendante. La CICB exprime sa solidarité avec la famille de la presse et assure messieurs Alilat et Benchicou de son soutien agissant. La CICB réitère son appel à la population pour participer au rassemblement des journalistes de Béjaïa, demain à 10h, devant le siège de la wilaya de Béjaïa pour dénoncer l'acharnement du pouvoir contre les journalistes et défendre la liberté de la presse. COMMUNIQUE du PRA “Menaces sur les libertés et l'avenir démocratique du pays” Une des libertés fondamentales, pilier cardinal de la démocratie, la liberté d'expression à travers la liberté de la presse, est gravement menacée. Réagissant à des révélations de malversation impliquant des personnalités du pouvoir, ce dernier a régi très maladroitement par l'instrumentalisation des imprimeries publiques en leur imposant, alors qu'elles sont censées être autonomes, une violation flagrante et unilatérale d'une convention de prestations les liant aux éditeurs de journaux. Alors qu'une enquête aurait dû être diligentée et le cas échéant, un traitement judiciaire, comme cela se serait passé dans tout pays où l'état de droit n'est point un slogan, c'est plutôt la foudre qui s'abat sur six quotidiens, sous un fallacieux prétexte commercial. Malgré le retour de quelques quotidiens sur les étals, la tension est toujours persistante, voire aggravée, car d'autres quotidiens sont toujours et injustement interdits de tirage, réduisant d'autant les espaces de liberté et que les relais policier et judiciaire, par le harcèlement des directeurs du Matin et de Liberté, semblent avoir été actionnés pour réussir là où l'argument commercial ne pouvait qu'échouer. Le PRA a condamné et condamnera toujours de tels comportements porteurs de lourdes menaces sur les libertés individuelles et annonciateurs de graves dérapages en cette période cruciale pour l'avenir du pays où les instincts, les pulsions, les passions semblent l'emporter sur la raison. Dans ce climat délétère, le PRA exhorte les détenteurs du pouvoir à faire prévaloir le droit et la raison d'Etat sur toute autre considération. Le secrétaire général, Dr Yacine Terkmane