Le mystère qui est derrière cette sympathie qu'Obama diffuse autour de lui se dissipe au fil de ses interventions. En recevant des journalistes, samedi dernier, à l'occasion de la Journée de la presse, il a laissé apparaître un peu de ce rayonnement qui confère tant de sincérité à son propos. À l'entendre plaisanter avec l'assistance sur tout et sur lui-même, Obama réconcilie le plus hargneux des journalistes avec le pouvoir en général et avec la fonction présidentielle en particulier. Pourtant, on est toujours dans le pays où la presse a toujours constitué, depuis la fin de la guerre de Sécession au moins, la première force d'opposition. Dans un système où les deux principaux courants politiques partisans ne s'affrontent pratiquement qu'aux occasions électorales, certes nombreuses, les journaux ont historiquement constitué un objet d'angoisse pour les hommes politiques. Il n'y a pas eu que le Watergate ou l'affaire Lewinsky dans la longue vie démocratique des Etats-Unis, mais la conviction unanime partagée sur l'utilité d'une presse libre n'a jamais été remise en doute depuis la profession de foi restée historique de Thomas Jefferson sur la primauté de la liberté de la presse sur la règle de démocratie institutionnelle. “Si je devais choisir entre avoir un gouvernement sans journaux ou des journaux et pas de gouvernement, je n'hésiterais pas une seconde à choisir la seconde option”. Au cours de son show, le président n'a pourtant pas ménagé une presse américaine, écrite surtout, qui connaît actuellement une crise sans précédent : “J'ai sauvé les banques, j'ai sauvé l'automobile, mais sauver la presse… je suis président, pas faiseur de miracles”. La capacité d'autodérision dont le président de la plus grande puissance de la planète a su faire preuve devant les journalistes invités à la Maison-Blanche autorisait largement cette pointe. “Il y a des hauts et des bas”, venait-il de constater, sauf pour sa popularité “qui ne fait que baisser !”, venait-il de plaisanter. Ayant subi le quolibet du “terrorisme de la plume”, la dialectique d'un si brillant monologue nous rassure sur l'honorabilité originelle du métier. Depuis l'imprimerie, la presse a accompagné toutes les révolutions qui ont progressivement conduit à la généralisation de la liberté d'expression. Sous ses formes modernes, ou socialisées, comme Facebook ou Twitter, la communication constitue toujours le soutien nécessaire des causes progressistes. Qu'importe si, en pleine époque du village planétaire, certains de nos dirigeants en sont à compter sur une presse contrôlée ou apprivoisée pour médiatiser leur image contrefaite ou si certains d'entre nous troquent parfois le principe contre la faveur ou le pourboire ou cèdent à l'intimidation : le fait que les grèves de la faim, que s'imposent encore les plus découragés, se tiennent à la Maison de la presse, est un signe, malheureux, que la société nous reconnaît une rôle de recours. Les plus puissants aussi, d'ailleurs, quand ils nous accablent d'être la cause de leur impopularité. Et dans les forums électroniques, les commentateurs anonymes répliquent ainsi à la pétition pour la libération de la télévision nationale : “autant libérer l'Algérie”. Ils rejoignent ainsi Jefferson : un pays sans presse libre n'est pas un pays libre. M. H. [email protected]