Jean Amrouche, poète algérien, est décédé le 16 avril 1962. Il serait très heureux dans l'au-delà du fait que l'Algérie soit indépendante, chose qu'il a commencée à revendiquer depuis les années 1940. Les massacres du 8 Mai 1945 ont été un tournant décisif dans son combat aux côtés “…des maquisards algériens, mes frères par nature…” (in son discours à la salle Wagram en 1955), comme il le disait. Déchiré entre l'Algérie et la France, il a choisi la justice et l'évidence historique : l'indépendance de l'Algérie, patrie de ses ancêtres. Dans le livre intitulé Jean El Mouhoub Amrouche, mythe et réalité (1), on retrouve de beaux textes recueillis par l'auteure pour justement mettre à la disposition du public, surtout algérien, des témoignages poignants sur les positions et les engagements d'El Mouhoub pour la libération de sa patrie. La colonisation de l'Algérie a été très douloureuse pour lui, d'ailleurs comme la quête d'identité à laquelle il s'attelée tout au long de sa carrière et dans toute son œuvre. Celle-ci est révélatrice d'une blessure profonde de son âme qui ne s'est jamais cicatrisée. Le conflit interne qu'il couvait ne pouvait être résorbé, selon lui-même, que par “une action de médiation, de rapprochement et de conciliation avec les deux peuples algérien et français”. C'est cette approche qui l'a rapproché du général de Gaulle en 1943 pour lui suggérer des réformes économiques, politiques et sociales pour l'Algérie. Ce discours novateur a influencé et séduit le général. En cette période le général n'avait pas le pouvoir, il l'a eu plus tard. El Mouhoub ne cessera pas d'écrire, d'interviewer et de donner des conférences mettant en avant les principes des droits de l'homme “qui sont une meilleure et plus durable protection qu'une police et une armée” pour le peuple algérien et qui sont les premiers jalons de ce qui a été plus tard l'indépendance du pays. Jean Amrouche a souffert de toute son âme durant la tragédie coloniale. Il n'a commencé à avoir de l'espoir qu'après avoir convaincu le général de Gaulle (en 1955) “de chanter sa chanson”, comme le lui a dit le général. Il l'a convaincu du fait qu'“il y a un peuple algérien parlant arabe, alimentant sa pensée et ses songes aux sources de l'islam” et que ceux qui pensent le contraire “retardent le processus (de décolonisation) d'une centaine d'années”(1). On remarque que Jean est tellement épris par le devenir de l'Algérie qu'il ne désarme pas et ne recule devant aucun obstacle pour revendiquer son indépendance en condamnant fermement la France coloniale qui est pour lui la négation de la France. La misère subie et vécue par le peuple algérien est qualifiée de “noble campagne du peuple algérien et que la pauvreté est fraternelle comme celle des saints musulmans”. Pour lui celle-ci doit cesser et la dignité humaine du peuple sera rétablie. Toutes ces positions ont rapproché El Mouhoub de son peuple et de ses moudjahidine desquels il s'est rapproché durant la dure période de la Révolution ; il a été même l'un de leurs meilleurs porte-parole. Le poème écrit en 1958 et intitulé Le Combat algérien résume, à mon sens, l'engagement politique de cet Immense personnage et la douleur qui lui taraude l'esprit et qui oppresse son cœur dans le combat libérateur opposant les Algériens au colonialisme français. Ce poème comprenant 98 vers (2) symbolise le combat de ce militant impénitent pour la cause algérienne. Il a la force d'un programme politique et de prises de position reconnu par les hommes de la Ve République qui l'ont mis en œuvre sous la pression politique et les échecs subis par leurs armées sur le terrain. Le poète ne s'exclut pas de notre patrie algérienne bien qu'il se voit ballotter entre Jean et El Mouhoub “qui vivent dans une même personne” mais il vivait un calvaire durant cette ignoble guerre où comme il l'a écrit “des hommes meurent et des hommes tuent : ces hommes sont mes frères…” (3). En 2010, peut-on parler de Jean El Mouhoub Amrouche comme on le fait pour les autres patriotes algériens ? Les spécialistes ne devraient-ils pas se pencher sur son œuvre grandiose pour étudier sa pensée et son combat sous une tutelle de l'Algérie officielle. Ce sera un grand hommage qui lui sera rendu ainsi et qui rendra plus grand l'autorité qui en aura l'initiative de l'organisation et sa mise en œuvre. Il est de notre devoir de nous réconcilier avec notre histoire, honorer notre élite à sa juste valeur et lui reconnaître une place qui lui revient de droit dans la société comme celle que revendiquait Ibn Rochd pour les philosophes de son temps. Durant ce mois du patrimoine, nous devons nous recueillir humblement à la mémoire d'El Mouhoub qui est un océan de savoir et de connaissances et une stature d'homme de culture qui a été médiateur entre le FLN et la France de de Gaulle afin d'aboutir à l'indépendance de l'Algérie à laquelle il n'a pas goutté. Se pourrait-il que ce mois du patrimoine soit le début de la réhabilitation de cet immense personnage comme patriote, militant de la cause algérienne, écrivain, poète, conférencier et comme l'éternel Jugurtha, symbole du génie africain comme il aimait à le dire. A. Z. Références : (1) Réjane Le Bault : Jean El Mouhoub Amrouche, mythe et réalité, Editions du Tell (2005) (2) In le même livre, p. 120 à 123 (3) In Le poème Je suis Jean et El Mouhoub… écrit en 1956