Khenchela : voici une région de l'Algérie profonde qui porte bien son nom, la Colombe. Une appellation aux aspects angéliques, ancestraux qui découle de la nature même des âmes qui la hantent et qui, jusqu'au jour d'aujourd'hui, restent attachées à leurs coutumes et traditions. Ici, la criminalité est loin de s'inscrire dans la grande tendance. Ses populations, qu'on surnomme les aârouchia, défendent jalousement leurs terres et leurs biens. Les notables de cette ville, qui a, par ailleurs, enfanté tant de chouhada et d'anciens combattants de la glorieuse Révolution, interviennent à tout bout de champ pour gérer des différends à la limite de conflits qui pourraient tourner au drame. Un état d'esprit qui contribue sensiblement à la maîtrise des sujets, même si parfois des cas loin d'être anodins chutent devant les tribunaux. La couverture sécuritaire ayant atteint un taux de 98 %, car seule une localité n'est pas encore dotée d'une brigade de gendarmerie, nous pénétrons les plats des Aurès, minés par des reliefs hostiles où 75 % de la superficie n'est autre que terres arides et désert. Le ton est donné dès lors que nous entamons le bilan d'une opération coup-de-poing menée par le groupement de la gendarmerie de Khenchela à travers toutes les localités de la région. Les routes nationales occupées, les routes secondaires également, les 215 gendarmes déployés guettent le mouvement des véhicules et des personnes. Au fur et à mesure que nous découvrons cette belle région, connue notamment pour sa station thermale Hammam Essalhine, mais aussi la région de Babar qui se taille la part du lion, car considérée comme la plus grande daïra du bled, Khenchela nous fait manifester sa paisible carte, non sans montrer l'altitude qu'elle saisit pour surplomber les Aurès. Et si près de 77 % des habitants préfèrent s'approcher des agglomérations, le reste demeure dans la zone rurale, aussi aphasique que le silence de la nature. La précarité saute aux yeux. Point de projets structurants ou de grandes usines pour offrir une opportunité à ces milliers de jeunes chômeurs, la déperdition scolaire se greffe à cette caractéristique socioéconomique. Des facteurs et pas des moindres qui stimulent la tentation, notamment le vol de cheptels et de domicile, la transgression des domaines agricoles et la dégradation des biens. Ce qui équivaut à la profanation, car les aârouchia sont jalousement attachés à la terre et à la structure socio-familiale à laquelle revient souvent le dernier mot. Quelque temps après notre arrivée, un camion de marque Isuzu est intercepté. À son bord, 1 200 litres de mazout. Le chauffeur et son compagnon interpellés se dirigeaient vers le désert alors qu'ils venaient d'avouer que ce carburant étaient destiné à l'activité agricole. C'est que dans la région, des réseaux moins puissants que ceux de Tébessa exercent le “métier” de halaba. En nocturne, bien sûr. L'année précédente, trois stations-service ont été fermées pour avoir servi de relais d'approvisionnement des contrebandiers spécialisés dans le trafic de carburant. En ce sens, nous dit-on, la loi est claire : la décision émane des walis dès que le propriétaire récidive (pour une seconde fois) dans l'alimentation en gasoil et en essence pour les halaba. Cela va sans dire que durant les premiers quatre mois de l'année en cours, ce sont plus de 7 300 litres de mazout qui ont été récupérées sur les voies de communication. Autre affaire traitée, 48 heures avant l'opération, la saisie d'un véhicule de marque Mazda qui transportait illégalement le bois noble de la région et destiné à la spéculation. Le cuivre en plaque de Boufarik et la 505 du Marocain Ici, tous les vols se font sur commande et ce sont 2 personnes qui sont placés sous les verrous. Le même jour, un camion de marque JAC, au numéro de châssis falsifié, est saisi par les gendarmes. Dans le même sillage, un réseau de trafic de voitures, composé de cinq individus, est démantelé. Un Marocain, entré légalement au port d'Alger, avait proposé un véhicule, de marque Peugeot 505, à un client, avec des complicités, basé dans la région de Bordj Bou-Arréridj. Mais ces cas de figure se présentent rarement dans la région. Explication : les véhicules saisis sont généralement employés pour l'acheminement du carburant. Du reste, point de grands réseaux qui activent sur cet axe où la tentation n'a pas droit de cité. Y compris la dernière affaire traitée à Aïn Touila, liée au trafic du cuivre, dont le réseau est basé dans la région de Blida, plus exactement à Boufarik. En effet, cette enquête a permis la récupération de 25,3 tonnes de cuivre. Une autre tonne de cuivre sera également saisie à Remila où les gendarmes ont agi sur de précieux renseignements faisant état de l'acheminement de cette matière vers la Tunisie. C'est que le procédé a changé puisque les trafiquants ont d'abord traité le cuivre en le faisant fondre avant de le transporter sous forme de plaques emballées dans des cartons. Le cas de la fabrique de Boufarik est flagrant dans le sens où ce stratagème est utilisé par un ancien professionnel qui a proposé ses services aux contrebandiers. L'opération coup-de-poing de 48 heures achevée, les premiers résultats tombent : 5 personnes, sur les 460 identifiées, recherchés par les services de sécurité et la justice seront interpellés. Les mis en cause sont tous des insoumis n'ayant pas répondu aux convocations qui leur sont transmises. Cinq autres individus sont appréhendés pour détention et consommation de stupéfiants et de psychotropes. Aussi, sur les 162 véhicules fouillés et contrôlés, 1 camion est saisi et son chauffeur entendu pour avoir falsifié le numéro de châssis. Lors de la même opération, 105 personnes et véhicules suspects ont été fouillés. Les fouilles ont été multipliées sur les axes sensibles, menant notamment vers El-Oued, Biskra et Tébessa et les gendarmes ont arrêté lors des neuf précédentes opérations coup-de-poing 14 personnes, sur les 3 212 identifications, en vertu de mandats de justice et de mandats d'amener. Ce qui porte le nombre global des identifications, y compris le bilan des quatre mois précédents, à plus de 12 690 entre personnes et moyens de locomotion. Résultats : arrestation de 81 individus recherchés par les services de sécurité et saisie de 3 voitures également recherchées dans le cadre des investigations sur les véhicules volés. Le règne des homicides, des fratricides et des parricides Et si le propre de la cité est foncièrement lié à la tradition, ce sont 34 homicides, fratricides et autres parricides qui sont enregistrés par les gendarmes en quatre mois dans cette région conservatrice. Alors que la majorité des conflits sont réglés à l'amiable entre chefs de tribu et de douar, d'autres aboutissent à des procès de justice dès que le constat est établi sur la mort d'homme. En effet, 13 cas de coups et blessures volontaires avec arme blanche, un autre cas de violence contre la femme, 2 affaires de brutalité contre ascendant, 3 homicides volontaires, 6 homicides involontaires suite aux accidents de la circulation et 6 autres affaires liées aux rixes, injures et sur la voie publique. Mais, il y a aussi 1 cas d'enlèvement, de séquestration et abus sexuels sur une victime forcée à suivre ses ravisseurs. Des actes qui indiquent que la carte de la criminalité à Khenchela est quasiment statique, comparativement aux wilayas limitrophes qui connaissent d'autres fléaux sociaux. Est-ce à dire que Khenchela, une grande région, qui se recroqueville sur elle-même, commence à développer d'autres aspects du crime et de délits ? L'évolution est patente. Voire latente. Surtout que des réseaux venus d'ailleurs font impliquer de jeunes chômeurs dans les circuits du gain facile à tel point de s'en prendre aux ascendants. En effet, des 125 crimes, délits et contraventions constatées, on retiendra également que l'usage de faux, comme d'ailleurs l'atteinte aux bonnes mœurs ne constituent pas le gros lot d'enquêtes traitées et élucidées. Y compris l'aspect des atteintes à l'ordre et à la sécurité publics, même si les gendarmes ont eu à traiter une affaire liée à l'opposition forcée des populations locales contre un projet d'utilité publique, mais qui a, toutefois, fini par être réglée. “Dans cette région, on finit toujours par retrouver une personne recherchée. La nature sociologique de la région veut que le crime ou le délit soit traité dans la discrétion entre les parties antagonistes. Le cas de l'homme qui s'est rendu aux gendarmes après avoir assassiné sa femme illustre à bien des égards l'état d'esprit qui prévaut dans la région”, nous explique-t-on. Idem concernant les atteintes liées aux biens. En effet, 19 enquêtes ont été élucidées par les gendarmes, dont notamment la violation de domicile, vol qualifié avec menace, vol d'armes, de matériaux de construction, de bois, d'argent et de cheptels. Dans ces vastes plaines et zones rocheuses, les gangs s'en prennent souvent avec violence aux biens d'autrui. En ce sens, relève notre source, ce sont 5 cliques qui ont été démantelées. Ces bandes sont mises en cause pour association de malfaiteurs, vol qualifié et contrebande. Khenchela est aussi cette région où la consommation d'alcool est prohibée. Une décision collective des autorités locales officiellement interpellées par les aârouchia. Du coup, aucun restaurant, hôtel ou autres débit ne détient une quelconque licence d'exploitation ou autorisation pour commercialiser des boissons alcoolisées dans la région. Idem pour la détention, commercialisation et consommation de stupéfiants puisque seulement 5 personnes sont impliquées dans les 4 affaires constatées à Khenchela. Ce qui porte le chiffre global à 119 arrestations, dont 1 femme, de mis en cause dans les crimes et délits enregistrés depuis le début de l'année en cours. Quant à la saisie du kif traité, autant dire que la quantité récupérée est infinitésimale. Nous quittons Khenchela sous un ciel pluvieux. Un temps froid.