Un soir, au détour d'un dîner, je me suis retrouvé à la droite d'Azzouz Begag, ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances dans le gouvernement Villepin. J'étais heureux d'être assis à ses côtés avec mes collègues algériens. Dame, on était fier d'être à la même table qu'un symbole de méritocratie. À la gauche de Begag, il y avait des diplomates français. Begag m'intriguait : un enfant des bidonvilles de Lyon, et il ne ratait aucune occasion de le souligner lui-même, qui devient ministre, c'est mieux qu'un conte de fée. C'est Alice au pays des merveilles. Il me plaisait bien Begag à cause du fait qu'il n'a jamais renié ses origines. Hélas, toute la soirée, il n'eut d'yeux que pour le côté gauche. Il fut prolixe, aimable, gentil avec les convives étrangers autant qu'il fut indifférent à sa droite. Il voulait sans doute leur montrer qu'il était plus français qu'algérien. Qu'il était de leur bord et non du nôtre, qu'il n'était pas l'Arabe de service, mais le ministre au service de la République. Quelques mois plus tard, en lisant son livre Un Mouton dans la baignoire, j'eus une explication sur son comportement. Lisons : “Je sais que c'est fascinant pour eux (il parle de ses amis) d'être avec un ministre en fonction.” Plus loin, il ajoute que beaucoup de personnes veulent dîner avec lui. Tant de fatuité m'a laissé perplexe. Il nous prenait donc pour des fans extasiés à ses pieds. Mais quand j'ai lu la suite du livre où il raconte son long martyre de ministre, j'ai versé une larme de compassion : le ministre de la Culture le méprise, celui des Affaires étrangères l'ignore, Brice Hortefeux le nargue, un député UMP refuse de lui serrer la main. Et puis, ce coup de fil de Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur : “Tu es un connard ! Un déloyal, un salaud ! Je vais te casser la gueule !” etc. Et il raccroche. Begag n'a pas pu placer un mot. Ah ! J'allais oublier. Sarkozy a conclu sa bordée d'insultes en exigeant des excuses publiques, car lors d'un discours à Marseille Begag a déclaré qu'il n'était pas Azzouz Sarkozy. On est bien d'accord que ce n'est pas une insulte, juste une pointe d'humour. S'excuse-t-on pour si peu ? Pourtant, le ministre délégué humilié présentera ses excuses à son humiliateur. Ce n'est pas fini. Comme s'il éprouvait une jouissance extatique à ressasser ses déboires au gouvernement — à moins que ce ne soit une thérapie pour lui —, Begag remet ça avec un autre livre, la Guerre des moutons. On y lit notamment que Sarkozy, son terrible bourreau, le traite de fou et d'autres joyeusetés que la pudeur nous interdit de reproduire. Quant à Nadine Morano, alors députée, elle lui lance à la figure cette gentillesse : “Tu es un véritable c…” Begag répond par le sourire. Un vrai gentleman. Quoique... Passons. Apparemment, Begag est un saint qui suit les préceptes de l'Evangile : quand on vous frappe à une joue, tendez l'autre. À ce saint qui a vécu l'enfer du pouvoir, on va laisser le mot de la fin. Dans le même livre, il écrit : “Je suis à nouveau vivant. Lâche, mais vivant.” Vivant, vraiment ? Repose en paix Azzouz Begag. H. G. [email protected]