Grande émotion, samedi passé, au Théâtre régional de Béjaïa. Maïssa Bey, l'auteure de Puisque mon cœur est mort, ne pouvait espérer une plus belle entrée en matière. Une lumière éclaire un coin de la salle. L'écrivaine prend place, seule face à son public. En même temps, entre une jolie fille, accompagnée de Bazou, le musicien et arrangeur le plus connu de la scène musicale béjaouie. Le public du Café littéraire de Béjaïa était manifestement déstabilisé par cette mise en scène à laquelle il n'était pas habitué. La jeune fille commence à lire les premiers chapitres du roman sur un fond musical. Bazou était à la guitare. Maïssa Bey était tout émue, le public aussi. Un moment, la fille s'éclipse pour être remplacée par une autre, aussi belle. Elle lit l'un des derniers chapitres. Le choix est judicieux. Le décor est planté. Et la mayonnaise a pris. Le public est conquis. On le sent en communion avec l'auteur, qui appréhendait ce face-à-face. En tant que femme, a-t-elle d'emblée indiqué, “j'ai eu plusieurs vies. Et ma vie d'écrivaine a commencé il y a une quinzaine d'années”. Elle en est aujourd'hui à son “9e ou 10e ouvrage.” Un travail qui vient clôturer une “série de textes en rapport avec le pays.” Mais pour aller au bout de son dernier roman, “un ouvrage douloureux mais nécessaire”, cela n'a pas été facile pour Maïssa Bey. “Ecrire le deuil, c'est très douloureux.” Il est néanmoins nécessaire pour l'auteure, qui a été touchée à l'instar de tous les Algériens par la tragédie nationale, de faire en sorte que “ces disparus soient parmi nous.” Ecrire sur une mère, qui a perdu son unique fils, assassiné par la horde terroriste. Maïssa Bey avoue que c'est un texte très difficile à écrire. Et elle a rencontré des centaines de mères qui ont perdu un être cher. Elle rappelle à l'assistance que durant la décennie rouge, “les seules sorties obligatoires, c'étaient les condoléances.” Et pour cause ! “Nous vivions cloîtrés, repliés sur nous-mêmes.” Ceci pour dire que certaines réactions dans le roman sont tout à fait réelles. Et reprenant à son compte une phrase de Marguerite Duras, qui parlait de ses héroïnes : “Beaucoup de mon sang coule dans leurs veines.” Pourquoi l'héroïne n'est-elle pas une femme du peuple ? Maïssa Bey a longuement hésité avant d'opter pour une universitaire. Il est clair qu'une enseignante à l'université était “capable d'intellectualiser cette souffrance.” Mais c'est aussi pour dire que face à une telle tragédie, tout le monde est fait de la même pâte. Quant au cheminement psychologique de cette mère, divorcée et bardée de diplômes, elle ne s'est véritablement libérée que depuis que son fils chéri est mort. Qu'est-ce qu'elle a à craindre ? Puisque son cœur est mort.