C'est l'histoire d'une mère qui a perdu son fils unique, assassiné par la horde terroriste. Invitée du Café littéraire de Béjaïa, samedi dernier, Maïssa Bey a tout simplement épaté les adeptes béjaouis de la littérature, dont le cercle ne cesse de s'élargir depuis le lancement du Café en question. Après une autre écrivaine, Fatéma Bakhaï en l'occurrence, qui a fait un passage fort remarquable audit café littéraire, c'est au tour d'une autre romancière de Sidi Bel Abbès, de d'étaler toute sa classe aussi discrètement qu'en douceur. Avec une entrée en scène inhabituelle, première du genre des rendez-vous littéraires, l'écrivaine de Sidi Bel Abbès a été accrochée, d'emblée, lors de la lecture de deux grands passages de son dernier livre, par deux belles jeunes filles, Folria et Nesrine, sur un fond de musique de guitare sèche que seul Bazou, le musicien, compositeur et arrangeur le plus célèbre de la ville de Yemma Gouraya, a le secret. Le décor étant déjà planté, il ne restait à l'invitée que de le vernir avec des mots tirés de sa propre littérature. «J'ai eu plusieurs vies dans ma vie, mais je suis venue vous présenter cette vie d'écriture», a dit d'emblée l'invitée du Café littéraire agréablement surprise par le décor et l'accueil chaleureux du public. Des paroles qui n'ont pas été aussi sans l'intention de canaliser et ouvrir les débats avec toute la rectitude que ce genre de rencontre oblige. Pour revenir au débat qui a meublé la rencontre, pour parler de son dernier livre Puisque mon coeur est mort, qu'elle a qualifié de douloureux, la romancière n'a pas été par trente-six chemins pour le présenter. «C'est un ouvrage tout aussi douloureux que nécessaire, car écrire le deuil c'est très douloureux», a déclaré Maïssa Bey avant de continuer: «Mais il est nécessaire pour moi et tous ceux qui sont touchés de près ou de loin par la tragédie nationale. Une manière de lutter contre l'oubli.» Puisque mon coeur est mort, est un roman admirable et passionnant à la fois qui raconte l'histoire d'une mère qui a perdu son fils unique, assassiné par la horde terroriste. En somme, un roman dont l'impression dégagée vous place dans la peau d'un mort qui écoute...Tout en clarifiant que la tragédie racontée par cette mère, héroïne imaginaire et qu'il ne s'agit pas d'elle, Maïssa Bey rappelle à l'assistance que les anecdotes racontées à l'intérieur sont tout à fait réelles. «Il faut vous rappeler qu'on a voulu astreindre au silence les gens. Les seules sorties durant cette tragédie, c'étaient des sorties de condoléances. Nous vivions cloîtrés et repliés sur nous-mêmes», déclare, avec amertume, la romancière avant de se laisser emporter par ses émotions. «Ça a été très douloureux pour moi, et je vous assure que je ne me suis pas encore remise des témoignages des centaines de femmes victimes que j'ai rencontrées. Je pousse un cri du mal que peut donner un écrit, un poème, un livre ou une pièce théâtrale.» Par ailleurs, sur un autre volet relatif au qualificatif qui colle aux écrivains de la tragédie nationale «écrivains d'urgence», et comme pour réfuter ce qualificatif, Maïssa Bey a rétorqué d'une manière simple et objective en déclarant: «Je pense qu'on confond allègrement entre la littérature et le témoignage, car la littérature ne peut s'accommoder d'adjectifs, le mot se suffit à lui-même.»