Les théâtres régionaux se succèdent, les pièces se ressemblent, l'originalité fait défaut et les thématiques sont désuètes. Mais Lalla, du Théâtre régional de Mascara, dément — quelque peu — ce constat… optimiste ! Le Théâtre régional de Constantine a rejoint la compétition du FNTP, samedi passé, avec une traduction de Tartuffe, de Molière, qui commence vraiment à agacer. Molière n'a pas écrit que Tartuffe et celle-ci n'est pas la seule pièce au propos intéressant, actuel et adaptable au contexte de l'Algérie. Si, dans le théâtre, c'est la dimension humaine qui prime, alors pourquoi les professionnels du 4e art s'entêtent-ils à reproduire les mêmes idées révolues et les mêmes images déjà vues ? Le TRC a proposé au public de Bachtarzi un théâtre de boulevard, qui est d'ailleurs une esthétique théâtrale fort intéressante, mais pas dans une compétition nationale où le thème central est la création. Mise en scène par Mohamed Tayeb Dehimi et traduite par Saïd Boulmerka, la pièce, qui dure une heure et demie, est d'une linéarité affligeante. Le rythme baisse, les comédiens surjouent, la scénographie d'Abdelhalim Rahmouni est classique et la mise en scène est sans vision. De plus, les comédiens, qui sont pour la plupart âgés, ont totalement manqué de crédibilité. N'allons pas plus loin dans l'analyse, puisqu'on se retrouverait à critiquer la mise en scène de Molière et non celle de Tayeb Dehimi. Heureusement, avant-hier, le Théâtre régional de Mascara a présenté Lalla. Celle-ci a déjà été représentée sur la scène du TNA, dans le cadre de la carte blanche sur les théâtres régionaux. Mais, c'est une œuvre totalement métamorphosée, portée par un metteur en scène qui réfléchit, et incarnée par des graines de grandes comédiennes, à l'exemple de la nouvelle venue Rahil El Ouanfoufi. Adaptée par Bouziane Ben Achour, d'après les Bonnes, de Jean Genet, et mise en scène par Khaled Belhadj, Lalla, c'est l'histoire de trois femmes : une maîtresse de maison et ses deux servantes, qui évoluent dans le microcosme de l'appartement, sans hommes. Les deux bonnes, Saâdiya et Mbarka, se débarrassent du maître des lieux en postant une lettre à la police, accusant l'homme de trahison. Inconsolable, Lalla pleure son amoureux, ce qui agace réellement Saâdiya et Mbarka, qui décident de se débarrasser d'elle en l'empoisonnant. Le propos de Lalla, qui s'intéresse en réalité au drame humain, par le biais de trois histoires, de trois destins de femmes, aux antipodes dans la société, mais si proches et si semblables en réalité. Dans la première version de Lalla, le texte était linéaire, la mise en scène scolaire, les comédiennes intéressantes mais pas brillantes, les symboles n'ont pas été exploités et la vision semblait inachevée. Tout a été changé pour les besoins de cette nouvelle mise en scène. Avec un texte déconstruit et fragmentaire, Khaled Belhadj a complètement changé sa démarche. Sa nouvelle vision transcende les frontières du réel et démontre une réflexion, effective et exhaustive, sur le théâtre et sur la complexité de l'être humain. Khaled Belhadj s'est débarrassé des artifices du décor, optant ainsi pour une scène presque épurée, n'étaient la paire de chaussures suspendue et le miroir. Ces deux éléments résument de manière exceptionnelle les dessins du metteur en scène quant à la représentation scénique des profondeurs de l'être. Car la chaussure représente l'amour, le pied symbolise la puissance et le miroir évoque l'orgueil. En effet, les trois femmes sont orgueilleuses, rêvent d'amour et Lalla incarne la puissance dans un premier temps, avant que l'échelle des valeurs ne soit renversée et que les bonnes prennent le pouvoir et le dessus sur leur maîtresse. Une perspective assez intéressante sur la folie a été proposée ; et cette fois-ci, la schizophrénie a été largement justifiée. Même si quelques failles subsistent, notamment en ce qui concerne le rythme (il y a trop de tirades), ce qui fait décrocher, la pièce est une très belle proposition. Les comédiennes Warda Saïm, Meriem Allak et la révélation Rahil El Ouanfoufi ont habité leur personnage jusqu'à la confusion. Bien que la scène du TNA ne soit pas réellement adaptée à cette pièce qui aurait été meilleure si les spectateurs entouraient les comédiennes, Lalla est pleine d'audace, de propositions et marche à grands pas vers la maturité.