Les premières sorties des nouveaux ministres en charge de l'Economie témoignent de la volonté du gouvernement de traiter rapidement les goulots d'étranglement récurrents qui contrecarrent l'émergence d'une économie productive compétitive et celle de marchés sains et loyaux. Mais il me semble que la seule bonne volonté et un changement de style ne seront pas suffisants pour y arriver. Examinons d'abord les faits pour voir pourquoi. La première incursion du ministre de l'Industrie, de la PME et de l'Investissement avait concerné, rappelons-le, la problématique sensible du foncier industriel qu'il connaît bien afin d'en réserver la ressource aux vrais promoteurs. Cependant, à ce jour, la question des prix considérés comme élevés constitue toujours un effet d'éviction sur ceux des investisseurs qui n'ont pas l'accumulation financière suffisante, accumulation réalisable par ailleurs plus facilement dans les opérations commerciales d'importation et de distribution. Sa deuxième intervention a été la visite du site industriel de Réghaïa pour apporter un appui direct et accompagner la SNVI dans sa recherche de partenaires industriels pour notamment produire la voiture algérienne. Mais pour que cet appui soit productif et efficace sur le long terme, il faut qu'il s`insère dans une démarche industrielle, financière et commerciale globale et audacieuse. À titre de comparaison, le Premier ministre russe Vladimir Poutine n'a pas hésité récemment à proposer que le groupe automobile français Renault augmente sa part dans le groupe russe AvtoVAZ et qu'en contrepartie la Russie prenne des participations dans Renault. Dans ce registre, un partenariat avec l'industrie automobile allemande ne devrait pas être exclu lorsque l'on sait cette dernière, un an seulement après une crise majeure, est de nouveau au niveau d'avant la crise pour reprendre les termes du ministre allemand du Travail Ursula vonder Leyen. L'enseignement est que l'économie est globale, les marchés et le business aussi. Les projets industriels nationaux sont à initier localement mais devraient s'inscrire dans les logiques internationales en termes d'alliances pour les technologies et les marchés notamment. Les stratégies nationales qui les sous-tendent n'en sont que des parties négociables de façon pragmatique en fonction des intérêts majeurs des Etats concernés. Sinon comment expliquer que le Fonds public français d'investissement (FSI) entre en discussion avec le Fonds qatarien Qatari Holdings et Colony Capital pour participer à une offre d'entrée au capital de CMA CGM. Il faut savoir que le groupe français CMA CGM est le troisième armateur mondial et de plus se trouve être, avec 4 000 salariés, un des premiers employeurs privés de la région marseillaise. Comment voulez-vous que l'Etat français ne s'y implique pas d'une façon ou d'une autre. L'Algérie n'est pas allée jusque-là ; elle le devrait pourtant. S'agissant de la sphère commerciale nous traînons depuis des décennies les mêmes problèmes non résolus en nous contentant de mettre la poussière sous le tapis. Il s`agit, vous l'aurez deviné, de l'accession à l'OMC toujours annoncée et sans cesse reportée et de la désorganisation des marchés avec en prime le développement de ceux dits informels. Les actions correctives du nouveau ministre du Commerce, malgré un effet d'annonce remarqué, témoignage d'un style plus musclé sans doute, sont initiées de la même manière que celles de ses prédécesseurs : changer les textes législatifs et réglementaires et/ou en produire de nouveaux. Or l'expérience nous enseigne que cette démarche sans cesse utilisée dans le passé n`a pas été suffisante pour produire les effets voulus car l'application de ces textes est problématique. Ainsi comment expliquer par exemple que l'on veille dynamiser aujourd'hui seulement, plus d'une décennie après sa création en 1995 dans les textes, le Conseil national de la concurrence. À ce niveau d'inertie, il faudra probablement questionner la classe politique et même la société pour trouver des réponses. Enfin pour l'accession à l`OMC le ministre du Commerce nous dit, après dix rounds de négociations d'un processus initié en1987, qu'il est urgent d`attendre. Pourquoi pas après tout, l'OMC elle-même a consacré beaucoup de temps avant de finir de déclarer en fin juin 2010 dans un rapport de 1 189 pages que les aides européennes consenties à Airbus sont illégales alors que l'UE a mis 18 ans avant d'infliger une amende totale de 575 milliards d`euros, dont 302 milliards pour ArcelorMittal, pour ententes illicites et atteinte à la concurrence au cartel de l'acier Finalement et pour conclure, on voit bien qu'il faudra plus qu'un changement de style pour passer à un nouveau régime de croissance durable diversifié et non rentier. Ce dernier passe par des changements structurels qui toucheront forcement des intérêts. C'est pour cela que cela n'est pas facile à faire. Mais il faudra bien passer par là car on perd toujours les batailles que l`on ne livre pas.