Révision de l'accord d'association avec l'UE, négociations pour l'accession à l'OMC, Zone de libre-échange arabe, perspectives d'un accord stratégique sur l'énergie avec l'UE. L'Algérie est engagée sur une multitude de fronts sans que les contours d'une stratégie d'ensemble cohérente semblent avoir été définis et portés à la connaissance du public algérien aussi bien que des partenaires internationaux de notre pays.* Commençons par quelques observations. Pour l'instant, il est aisé de constater que les deux accords de libre-échange effectivement signés par notre pays soulèvent des difficultés dans leur application sur le terrain. On l'a vu ces dernières semaines avec l'accord d'association pour lequel une procédure de révision est en cours. On le voit également avec la Zone de libre-échange arabe pour laquelle une liste importante de produits à soustraire à l'accès en franchise est en phase d'élaboration. L'accord envisagé un moment avec l'AELE est encore dans les tiroirs. Et, bien entendu, le processus d'accession à l'OMC dont les négociations ont été entamées en 1987, faisant actuellement de notre pays le plus ancien négociateur avec cette institution, est lui-même à l'arrêt. Quelle cohérence ? Peut-on identifier une démarche d'ensemble dans le traitement actuel de ces différents dossiers par les autorités algériennes ? Les déclarations récentes des responsables algériens permettent de mettre en évidence quelques constantes. La première d'entre elles semble procéder du souci de ménager les partenaires internationaux de l'Algérie. Elle se manifeste par des assurances renouvelées sur l'attachement de notre pays à la poursuite de la coopération avec ses partenaires traditionnels. C'est le message transmis par M. Medelci qui a encore qualifié cette coopération d'“axe stratégique” de la démarche des autorités algériennes lors du dernier conseil d'association avec les représentants de la Commission de Bruxelles. C'est également le point de vue exprimé voici quelques jours à propos de l'accession à l'OMC devant les députés par le nouveau ministre du Commerce, M. Benbada, qui assurait à cette occasion que “l'Algérie souhaite adhérer à cet espace économique mondial”. Un autre aspect des déclarations récentes des membres du gouvernement algérien concerne leur insatisfaction face aux conditions d'application des accords signés par notre pays. M. Medelci et M. Djoudi estiment que les résultats de 5 années d'application de l'accord d'association avec l'UE ne correspondent pas aux “attentes” de l'Algérie. De la même manière M. Benbada considère que l'Algérie veut bien adhérer à l'OMC “à condition que cela serve ses intérêts”. Gagner du temps Un dernier trait caractéristique de la démarche récente des autorités algériennes consiste, en outre, dans leur souci de gagner du temps. Avec l'UE, le dernier conseil d'association s'est conclu sur un compromis visant à réviser le calendrier du désarmement tarifaire pour retarder son application. On estime que les mesures en préparation pour la Zone de libre-échange arabe vont la vider de sa substance. Et enfin dans le même registre, le ministre du Commerce affirme que “l'Algérie n'est pas pressée d'adhérer à l'OMC”, mais qu'elle continuera de répondre aux nombreuses “questions” posées par ses partenaires dans le cadre du processus d'accession à cette organisation. La démarche actuelle des autorités algériennes est donc essentiellement dilatoire. Elle vise à réduire autant que possible l'impact des accords signés depuis le début de la décennie écoulée sans remettre en cause leur principe et à reporter la conclusion de tout nouvel engagement. Elle s'accompagne d'une rhétorique à usage principalement interne sur la défense et la protection de l'intérêt national. Si cette démarche a quelques chances de produire des dividendes politiques en termes de popularité, elle ne possède cependant, au stade actuel et pour la plupart des analystes, aucune des caractéristiques d'une stratégie opérationnelle. Sa principale faiblesse, qui la rend intenable à terme, consiste dans le fait qu'elle s'accommode de l'existence d'un commerce d'importation plus que jamais florissant tout en se privant de l'apport que pourrait constituer les IDE alors même que l'environnement économique des producteurs nationaux reste, de l'avis de tous les observateurs, fortement dégradé. Décantation Bien que la situation soit pour l'instant assez confuse et incohérente, les mesures introduites par la loi de finances complémentaire annoncent sans doute un retour vers des formes de protection tarifaire et non tarifaire de la production nationale. Même s'il faut regretter les pertes de temps, il faudra sans doute attendre que la décantation se fasse au plan de la politique économique et commerciale interne avant d'envisager une reprise du processus de libéralisation des échanges avec les partenaires extérieurs. Pour avoir plus de chances de réussir que celui qui l'a précédé au cours de la décennie écoulée ce processus devra tirer quelques leçons du passé. Saucissonnage La première concerne certainement la nécessaire cohérence à établir entre les processus de négociation engagés avec les différents partenaires commerciaux. Pour un spécialiste reconnu de ces négociations multilatérales comme Mouloud Hedir “l'impression qui se dégage très souvent est celle d'un “saucissonnage” des négociations qui est fortement dommageable parce qu'il accumule les contradictions. Ainsi, a-t-on oublié que l'application de l'accord d'association rend nécessaire l'entrée dans l'OMC, puisque ce sont les mêmes règles de base que nous sommes censés y appliquer ; de même, la mise en place de zones de libre-échange entre les pays du Sud-méditerranéen est-elle également une nécessité pour pouvoir attirer les gros investissements qui ont besoin de marchés plus étendus et pour contrebalancer le déséquilibre de la relation Nord-Sud ; d'un autre côté, a-t-on mesuré, par exemple, à quel point l'entrée dans la Zone arabe de libre-échange faisait l'impasse sur la construction économique maghrébine ?” Et les opérateurs économiques ? La deuxième concerne la définition de la stratégie à mettre en place. L'évocation incantatoire et systématique de la seule “défense des intérêts nationaux” par les responsables politiques algériens inspire des commentaires désabusés à certains négociateurs algériens qui avouent s'être le plus souvent trouvé face à des dossiers d'une grande complexité, dépourvus de repères et dans l'incapacité d'identifier la teneur de cette notion faute d'un travail préalable d'identification et de définition des objectifs. Pour nos interlocuteurs, la construction et l'identification de l'intérêt national ne relèvent pas de la seule évidence et ne peuvent pas être le produit de la réflexion des seuls fonctionnaires. Elles sont, au contraire, le produit d'un processus long et complexe de concertation avec les opérateurs économiques publics et privés dont l'absence est certainement le talon d'Achille de la stratégie des pouvoirs publics algériens. Quelle place pour l'énergie ? Une troisième leçon à tirer, enfin, revient dans beaucoup de commentaires. Elle concerne la place que les échanges d'énergie jouent dans la formulation dans la politique commerciale extérieure et dans la démarche de libéralisation que notre pays mène depuis toutes ces années. Citons encore M. Hedir : “Il est vraiment paradoxal que l'énergie, qui est la colonne vertébrale de l'économie algérienne et de nos échanges extérieurs, soit marginale sinon quasiment exclue des négociations d'un accord aussi important que celui conclu avec l'Union européenne. On a bien vu les conséquences pratiques de ce paradoxe au moment où la compagnie nationale Sonatrach a souhaité s'implanter directement sur certains marchés européens et s'est vue confrontée à des restrictions législatives de la part des pays ciblés (Espagne et Italie, notamment). Comment peut-on accepter que tous les produits européens puissent entrer sans restriction sur le marché algérien et que les sociétés européennes puissent s'y établir librement alors que le même droit n'est pas garanti à la première compagnie exportatrice nationale ?” La réponse, loin d'être simple, donne la mesure des efforts que l'Algérie a à accomplir pour réussir l'entrée harmonieuse de son économie dans le système des échanges mondiaux.