Ancien directeur du commerce extérieur au ministère du commerce, Mouloud Hedir est un familier des dossiers du commerce international et des négociations multilatérales auxquels il a consacré de nombreux articles et ouvrages. Dans l'interview qui suit, il fait le point sur les dossiers chauds du moment et souligne ce qui apparaît comme l'absence d'une stratégie d'ensemble des autorités algériennes. Liberté : L'Algérie vient, tout en réaffirmant son attachement au caractère stratégique de la coopération avec l'UE, de demander une révision de certains aspects de l'Accord d'association signé en 2002. Quels sont, selon vous, les objectifs poursuivis par les autorités algériennes ? Quels résultats peut-on attendre de cette révision ? Comment appréciez-vous cette démarche ? Mouloud Hedir : En l'absence d'un communiqué officiel des autorités algériennes à ce sujet, il est difficile, pour un observateur externe, de bien comprendre quelles ont été, de manière précise, les conclusions de la réunion du dernier Conseil d'association tenu le 15 juin dernier. Il faut donc se contenter des comptes rendus publics dans les journaux. Cela étant, je voudrais faire trois remarques : En premier lieu, je n'ai pas compris, personnellement, que nous soyons dans une opération de révision de l'accord d'association, ce qui supposerait un processus juridique très lourd nécessitant une ratification parlementaire en Algérie comme dans les 27 pays membres de l'Union européenne. Avant d'arriver à une telle extrémité, il convient d'abord d'épuiser toutes les ressources qu'offre l'accord lui-même, dans sa rédaction actuelle, et qui sont conçues précisément pour faire face aux difficultés économiques ou commerciales inévitables que son application peut soulever en cours de route. Il faut savoir, en effet, que l'accord permet déjà de prendre des mesures exceptionnelles pour protéger des industries (article 11) ; il permet de prendre le même type de mesures en matière de politique agricole (article 16) ; il autorise également des mesures de sauvegarde pour une activité ou un secteur économique quelconque qui résulteraient du processus de libéralisation qu'il met en œuvre (article 24). Toutes ces mesures peuvent être appliquées au niveau purement administratif, à tout moment et de manière relativement simple en prenant juste la précaution d'en informer le partenaire. S'il s'agit de questions plus complexes, elles doivent faire l'objet d'une discussion au niveau politique, à savoir celui du Conseil d'association lequel, selon l'article 94 de l'accord, dispose d'un pouvoir de décision. Il n'y a donc pas de raison de considérer que nous sortons du champ de l'accord dans sa version actuelle. En second lieu, il est nécessaire de relever que l'accord avait prévu (articles 15 et 37) une clause de rendez-vous pour évaluer les conditions d'application de l'accord et tracer des perspectives nouvelles, au cours de la cinquième année qui suit sa mise en œuvre effective. S'il a été signé en 2002, rappelons que sa mise en œuvre n'a été engagée qu'en septembre 2005. Autrement dit, le Conseil d'association programmé pour juin 2010 aurait dû avoir pour principal objet de discuter de cette évaluation que chacune des parties devait faire pour son propre compte. Or, je n'ai pas connaissance que cette évaluation exhaustive ait été réalisée par la partie algérienne ni qu'elle ait été inscrite à l'ordre du jour du Conseil d'association. Bien au contraire, ce sont des experts européens qui sont venus, à fin 2009, réaliser une étude à ce sujet et établir un véritable bilan des cinq années d'application de l'accord. Cette étude est disponible et peut être consultée librement sur le site de la délégation de l'Union européenne à Alger. Selon ces experts qui reflètent bien entendu un point de vue européen, “le système de réformes mis en place par les autorités algériennes depuis les années 2000 est complexe et ambitieux mais sa lisibilité externe n'est pas assurée car de nombreuses réformes reflètent des ambiguïtés stratégiques. D'un côté, un engagement politique dans le processus d'ouverture de l'économie algérienne, de l'autre, l'exigence de ne pas renoncer à des choix économiques en faveur du système économique en place et se traduit en définitive par une ambivalence des messages envoyés aux opérateurs économiques étrangers”. bien que l'étude ait été réalisée avec le concours officiel des autorités algériennes, lesquelles ont donc pris connaissance de ses conclusions, il ne semble pas que cette appréciation sévère ait été contestée publiquement. En troisième lieu, cette annonce faite d'une révision du calendrier du démantèlement tarifaire entre bien, comme on peut le comprendre, dans le dispositif régulier prévu par l'accord. On notera simplement que les propositions de révision des tarifs douaniers ne sont pas encore prêtes et ne seront donc faites qu'au cours des prochains mois. Il faudra donc attendre que le dossier soit finalisé pour porter une quelconque appréciation. Le Conseil d'association, réuni le 15 juin dernier, a également programmé la tenue à Alger, avant la fin de l'année, d'un Forum des investissements. Quel est, selon vous, le contexte dans lequel intervient cette initiative ? Quels résultats peut-on en attendre ? On savait déjà, avant la réunion du dernier Conseil d'association, que le volet investissement était un des points de controverse entre les deux parties. Pour la partie algérienne, la faiblesse des investissements européens est le résultat d'un manque d'engagement politique, tandis que la partie européenne a dénoncé les dernières mesures de la loi de finances complémentaire pour 2009 comme non compatibles avec le texte de l'accord d'association. On attendait donc avec curiosité ce qui allait sortir comme conclusion de la discussion sur ce point controversé. L'absence d'information claire à ce sujet, à l'issue du Conseil, signifie que la controverse demeure toujours. La programmation pour les mois à venir d'un Forum sur l'investissement impliquerait seulement que l'on ne ferme pas les portes et que l'on continue à poursuivre la discussion sous d'autres formes. Ceci étant dit, il y a bien, là, un problème de fond extrêmement sérieux qui se pose notamment à la partie algérienne puisqu'il s'avère maintenant que la concession accordée à l'Union européenne par l'article 32 de l'accord, à savoir le traitement national systématique donné aux entreprises européennes, est une limite qui empêche l'Algérie de pouvoir formuler une politique plus équilibrée vis-à-vis des investisseurs étrangers. Pour bien expliquer ce dont il s'agit, il faut savoir que le traitement national signifie que l'on considère les entreprises des pays partenaires qui en bénéficient au même titre que les entreprises locales, sans discrimination de quelque forme que ce soit. Bien entendu, un tel avantage est généralement donné de manière très sélective, son impact n'étant pas du tout aussi important dans des secteurs comme le tourisme, la mécanique ou les industries de transformation comme il peut l'être dans des secteurs sensibles comme la banque, les services financiers, la pétrochimie ou les télécommunications. à ma connaissance, de tous les pays qui ont négocié des accords régionaux ou leur accession à l'OMC et qui ont été amenés à accorder des concessions en matière de services, aucun d'eux n'a convenu de donner le traitement national systématique à ses partenaires, tous secteurs confondus. La concession de l'article 32 de l'accord d'association est, en ce sens, une concession exorbitante accordée “naïvement”, sous la pression et sans une véritable connaissance de son impact réel sur la politique économique publique. En tout état de cause, il y a, là, un problème fondamental qui mérite bien d'être posé en ces termes et auquel il va bien falloir imaginer des réponses appropriées, à l'avenir. Ces négociations, toutes récentes, interviennent dans le contexte plus large de la libéralisation de notre économie et de son insertion dans les courants d'échange internationaux. Cette démarche est dominée depuis plus de 20 ans par des négociations pour l'adhésion de l'Algérie à l'OMC. Quel est l'état de ce dossier ? Pourquoi ces négociations n'aboutissent-elles pas ? Le contexte actuel est-il, selon vous, favorable à leur relance ? Le dossier de l'accession à l'OMC est manifestement bloqué, au stade actuel. pourtant, on ne connaît toujours pas les raisons réelles de ce blocage, faute d'une communication officielle précise à ce sujet. Or, pour l'état qui négocie son accession à cette organisation multilatérale, il y a toujours avantage à établir clairement les points d'achoppement de la négociation, quand ils existent. D'un strict point de vue technique, on peut distinguer trois types de difficultés, suivant leur degré de complexité : Il y a, d'une part, des dossiers certes importants mais pour lesquels existe un consensus de négociation à l'OMC dont l'Algérie peut aisément se prévaloir. C'est le cas, notamment, du dossier du double prix de l'énergie, de celui de l'accès au marché des produits agricoles et industriels (négociation classique des tarifs douaniers) ou de ceux des demandes spéciales de certains membres concernant des thèmes comme l'ouverture des services éducatifs ou l'audiovisuel. Même si ces volets peuvent paraître complexes, l'Algérie peut afficher clairement et fermement ses positions et on peut supposer que de bons compromis peuvent rapidement être trouvés. D'autre part, il y a, les discussions qu'il va falloir ouvrir avec les membres de l'OMC autour des mesures restrictives prises depuis deux années, des mesures qui, pour nombre d'entre elles et on le comprend bien, sont incompatibles quelquefois avec un certain nombre de règles des accords administrés par l'OMC. à ce niveau, la difficulté n'est pas tant dans la négociation mais dans l'impact éventuel que le renoncement à ces restrictions commerciales va engendrer sur les politiques publiques telles qu'elles sont conduites par les autorités économiques algériennes. Enfin, il y a le dossier plus complexe de l'accès au marché dans les secteurs des services. La difficulté, à ce niveau, est liée à la contrainte née de l'article 32 de l'accord d'association, dans la mesure où l'Algérie sera obligée, pour raison de traitement NPF (nation la plus favorisée), d'élargir à l'ensemble des pays membres de l'OMC la clause de traitement national qu'elle a imprudemment accordée aux partenaires de l'Union européenne. Comme on l'a vu plus haut, cette concession exorbitante “empoisonne” déjà le climat de la mise en œuvre de l'accord d'association. Il ne sera donc pas possible, à l'évidence, de l'appliquer avec les 152 pays membres de l'OMC. La situation est donc bel et bien bloquée et il faudra, pour avancer dans la négociation avec l'OMC, dénouer au préalable le contentieux ouvert avec l'Union européenne, sur ce volet précis. Pour terminer, il faut souligner que le contexte actuel au niveau de l'OMC, qui est une organisation internationale quelque peu affaiblie par la situation de crise que connaît l'économie mondiale et par la résurgence des tentations protectionnistes, est plutôt favorable pour les pays qui souhaiteraient accélérer leur processus d'adhésion.