On l'appelait “Lbiladj” (village colonial). La ville de Tizi Ouzou est aujourd'hui loin de son ambition première d'animer la métropole de demain. Son développement urbain a connu des excroissances anarchiques qui lui donnent un visage hideux, répulsif à bien des égards. Aujourd'hui, Tizi Ouzou accuse un retard immense en matière de développement. Même des wilayas, créées lors du dernier découpage administratif en 1984, donnent, de nos jours, une meilleure image urbanistique. Leurs chefs-lieux sont plus accueillants et surtout aérés. En revanche, la ville des Genêts suffoque, du fait de l'accumulation des problèmes, même les travaux d'aménagement urbain lancés dernièrement n'ont fait que camoufler les balafres qui ont “bidonvillisé” vulgairement la capitale du Djurdjura, autrefois havre de paix. Ainsi, en dépit de budgets colossaux consommés dans les travaux de réhabilitation et d'aménagement urbain, le lifting apporté est loin de donner un meilleur look à “Lbiladj”, toujours sans attrait. Alors dire que Tizi n'a aucun atout qui fait d'elle une ville moderne, c'est défoncer des portes ouvertes. La Nouvelle-Ville a été conçue sans aucune structure d'accompagnement. Autant dire une cité-dortoir faite de bâtiments carrés en rang d'oignons qui rappellent une certaine époque socialiste. Son aspect hideux est fait de successifs pachydermes en béton. Ses rares espaces verts sont à présent engloutis par le béton, où des coopératives immobilières ont poussé comme des champignons, amochant un peu plus le cadre de vie, déjà “invivable” et sans aucune esthétique urbanistique. C'est que ce développement anarchique du béton et de la ferraille s'est fait sans aucune vision qui prenne en compte les aspects socioculturels et surtout démographiques de la région. Cet urbanisme agressif ne peut donner qu'un environnement violent dans lequel évoluent les citoyens. La promiscuité achève de ruraliser les quartiers populeux, repaires de fléaux sociaux, en l'absence de loisirs capables de capter une jeunesse sans repères. “À la Zhun de Tizi Ouzou plus connue sous le nom de Nouvelle-Ville, tous les espaces libres ont été livrés à la spéculation foncière et à la promotion immobilière effrénée”, n'a cessé de dénoncer le wali de Tizi Ouzou, Hocine Mazouz, à chacune de ses sorties. Ce n'est qu'après-coup que les autorités se sont rendu compte de ce ratage d'une ville “bidonvillisée”. Le diagnostic de la situation est donc fait. Peu reluisant à tous points de vue… Un urbanisme agressif En outre, le retard accusé dans le lancement de certains projets handicape Tizi Ouzou dans sa relance de développement. Le président de l'Assemblée populaire de wilaya (APW) ne mâche pas ses mots lorsqu'il s'agit de dénoncer une telle situation. “Tizi Ouzou accuse un retard dans tous les domaines. La ville de Tizi Ouzou est clochardisée”, constate d'emblée Mahfoud Belabbas. Son constat est sans appel : le rail accuse un retard de 20 ans, le dédoublement de la RN12 vers Azazga patine, l'environnement demeure le parent pauvre du développement, les gares nodales ne sont pas encore mises en exploitation, l'aménagement urbain est aléatoire, l'insalubrité règne en maîtresse, etc. L'anarchie, qui règne dans les rues de Tizi Ouzou, révulse au plus haut point l'élu du RCD, qui dénonce au passage l'inertie des pouvoirs publics qui se complaisent dans un silence assourdissant. Sur la question de l'écologie, notre interlocuteur a gros sur le cœur. “Nos villes et villages sont devenus des décharges à ciel ouvert. Les eaux usées aussi bien domestiques qu'industrielles se déversent directement dans les cours d'eau. Autant dire que nous risquons une catastrophe écologique”, fera-t-il remarquer, non sans rappeler l'épisode du projet du Pnud bloqué à l'heure actuelle au ministère des Affaires étrangères, avec toute la polémique qui s'en est suivie. M. Belabbas espère que les deux parkings à étages qui seront réalisés au centre-ville de Tizi Ouzou puissent absorber l'anarchie née de l'explosion du trafic automobile. Mais en attendant, le problème demeure posé. Le wali de Tizi Ouzou a beau défendre le bilan de l'administration en noyant ses documents de chiffres qui ne changent rien à la réalité, le fait est que Tizi Ouzou n'a pas l'aspect d'une ville moderne et développée. à titre d'exemple, pour l'année en cours, la wilaya de Tizi Ouzou a bénéficié d'une cagnotte de 30 745 millions de dinars, tous secteurs confondus. Budget colossal ? Belabbas nuance. “Ce n'est même pas le budget de la commune de Béjaïa”, compare-t-il, avant de relever que le montant réservé aux PCD (Plans communaux de développement) reste insignifiant, 2 100 millions de dinars, soit 6,8%. Certes, il y a des choses qui ont été faites, mais cela reste insuffisant ; c'est comme une goutte d'eau dans un océan, selon le mot du P/APW. De plus, la rareté du foncier dans une région à topographie “ingrate” n'a fait que compliquer les choses et retarder, du coup, le développement auquel aspirent légitimement les citoyens. Quelle est donc la solution ? “Tighremt n'Tizi”, la panacée Partant du constat que la ville de Tizi Ouzou souffre d'une urbanisation anarchique, des efforts de réflexion conjugués entre l'administration et l'institution élue ont débouché sur la décision de création d'une ville nouvelle avec toutes les structures d'accompagnement, histoire de décongestionner l'ancien centre-ville et la Nouvelle-Ville. Ce qui permettra à Tizi Ouzou de grandir. Basé sur une nouvelle stratégie d'urbanisation, le projet baptisé “Tighremt n'Tizi” (La Cité moderne de Tizi) est gigantesque. Du moins sur papier. S'étendant sur une superficie de 670 ha, le projet est intégré dans le nouveau Pdau approuvé et adopté le 23 mars 2009. Cet instrument d'urbanisme vise à décongestionner la ville de Tizi Ouzou et faire de celle-ci un pôle urbain régional en conformité avec le Schéma régional d'aménagement du territoire (SRAT), selon les explications du premier magistrat de la wilaya. Si l'on tient compte du manque de l'outil de réalisation, le projet ne verra pas le jour de sitôt. “Tighremt n'Tizi” comprend une ville nouvelle de 14 000 logements et d'un pôle d'excellence. Le nouveau pôle urbain prévoit une gare routière, trois polycliniques, trois bibliothèques, un centre culturel, des établissements scolaires, une salle de cinéma, un théâtre de verdure, un centre de transit, 14 000 logements. C'est un pôle qui sera aéré puisque pas moins de 45 ha seront réservés au parc d'attractions, 40 ha au parc urbain récréatif et plus de 5% des zones urbanisées sont dédiés aux jardins résidentiels. Obéissant à une nouvelle approche qui intègre les normes universelles d'urbanisation, la nouvelle ville d'oued Falli sera érigée sur une superficie de 315 ha. Elle accueillera, une fois réceptionnée, quelque 70 000 habitants. Elle aura à canaliser l'essor démographique et les flux migratoires. Le pôle d'excellence accueillera toutes les infrastructures d'accompagnement d'une ville moderne. S'étalant sur une superficie de 355 ha, il sera organisé autour du nouveau stade de 50 000 places. Les équipements programmés sont un stade olympique, un CHU, un parc d'attractions, une salle de spectacles de 6 000 places, une piscine olympique, un musée, un hypermarché, un centre d'affaires, un hôtel “aquaparc”, une sûreté urbaine, une unité de la Protection civile et une place publique. Une première tranche de 1 milliard de DA est déjà dégagée pour les travaux de viabilisation de ce nouveau pôle urbain. L'analyse urbaine de ce nouveau pôle en devenir contraste avec l'anarchie qui avait caractérisé le lancement de la Zhun de Tizi Ouzou (l'actuelle Nouvelle-Ville). La création du nouveau pôle urbain participe à la stratégie de redéploiement spatial et fonctionnel et vise l'élaboration d'un nouveau schéma directeur des transports, la délocalisation de la grande distribution et la réhabilitation du centre historique de Tizi Ouzou. Les pouvoirs publics veulent visiblement substituer un urbanisme actif à une urbanisation subie. Ce qui permettra à l'ancien “Lbiladj” de Tizi Ouzou d'entretenir l'espoir d'animer, un jour, la métropole de demain.