Qu'elles soient mariées, célibataires, veuves, divorcées, retraitées, sœurs ou mères, qu'elles aient déjà exercé un emploi ou jamais, qu'elles soient diplômées ou non, on assiste ces dernières années de plus en plus à un accroissement du nombre de ces femmes cherchant un emploi dans différents domaines. Auparavant, la question du travail de la femme a été longtemps contestée dans notre société. Aujourd'hui, ce sont les hommes, qu'ils soient pères, frères ou maris, qui demandent et encouragent les femmes à aller travailler. Face au chômage, aux problèmes économiques et sociaux, et leur impact sur le niveau de vie des familles, un nombre important de femmes ont décidé d'aller à la recherche d'un travail, principalement celles dont les maris sont en retraite ou au chômage et ayant des enfants. “Plusieurs facteurs ont influencé le retour des femmes sur le marché du travail. À savoir le chômage, la cherté de la vie, la scolarité des enfants et beaucoup d'autres facteurs, qui ont engendré au fil de ces dernières années des effets sur la structure familiale et donné une nouvelle mutation à la société algérienne. Il y a quelques années, la majorité des hommes algériens n'acceptaient pas que leurs épouses, sœurs ou mères travaillent. Aujourd'hui, c'est le contraire. Beaucoup d'hommes préfèrent épouser une femme active pour pouvoir construire une vie à deux”, nous révélera Tahar Abdellaoui, du service de diffusion – DPDDI, à l'Office national des statistiques (ONS). Selon l'enquête sur l'emploi auprès des ménages réalisée en 2009 par cet organisme, la principale cause de cette situation est due essentiellement au taux de chômage, estimé à 10,2%, qui a engendré de fortes inégalités entre les hommes et les femmes (8,6% chez les hommes et 18,1% chez les femmes). D'après certains témoignages, ces inégalités se concentrent au niveau des postes d'emploi. “Nombreux sont ceux qui pensent qu'il y a beaucoup d'emplois que la femme ne peut pas assumer. Pourtant, sur le terrain, il suffit d'aller dans les stations d'essence et même dans les chantiers où des femmes font des boulots réservés auparavant aux hommes. Si la femme algérienne a accepté de sortir de chez elle pour chercher un emploi pour n'importe quelle rémunération, c'est parce qu'elle est réellement dans le besoin et qu'il y a un malaise social quelque part”, témoignera, de son côté, un médecin généraliste. Et d'ajouter : “Plusieurs femmes viennent se faire soigner chez moi et avant de repartir, elles me sollicitent pour un emploi. La majorité sont généralement contraintes devant la cherté de la vie et les besoins pressants de leurs enfants.” Rencontrée au niveau de la Cnas, une dame d'un certain âge nous révélera qu'elle est venue pour un entretien d'embauche. “Depuis que mon mari est en retraite, je suis à la recherche d'un travail.” Ecoutant notre conversation, une autre femme enchaînera : “Quand je me suis mariée, mon mari m'a interdit de travailler. Je suis restée chez moi pendant vingt ans à élever mes enfants et m'occuper de mon foyer. Après quelques années, mon mari a quitté son emploi. Notre situation financière s'est dégradée. Surtout que mes enfants ont grandi et ont besoin de moyens financiers pour continuer leurs études. Mon mari a frappé à toutes les portes pour trouver un travail, en vain. Devant cette situation critique, nous n'avions aucun choix. Alors, j'ai décidé d'aller tenter ma chance pour trouver un poste. Comme je suis diplômée en informatique, j'ai été recrutée par une société privée comme secrétaire. Il est vrai que ce n'est pas facile du tout pour le conjoint d'accepter que sa femme travaille tandis que lui chôme, mais les temps ont changé et il n'y a pas de mal que l'épouse, la sœur ou la mère contribuent à apporter une aide à sa famille.” Un avis partagé par Nouria, une couturiére habitant à Bab Ezzouar. “Il n'est pas question que tu travailles. Je suis l'homme de la maison et je n'ai rien à faire de ton argent”, me balança au visage mon mari les premiers jours de mon mariage quand j'ai décidé de continuer mon travail de couturiére après notre union. “Mais après la venue des enfants, la cherté de la vie et l'impossibilité de joindre les deux bouts, il a tout de suite changé d'avis et accepté que je reprenne mon métier, et, bien sûr, quand il est en panne d'argent, je sers de caisse.” “S'il vous plaît, aidez-moi à trouver un emploi comme femme de ménage à n'importe quel salaire”, me demanda une voisine. “Est-ce que votre mari est d'accord ?” lui demanderai-je. “Vous savez, toutes mes disputes avec lui sont dues à cela. Il refuse de me donner de l'argent en plus pour payer les cours des enfants et leurs activités sportives. D'ailleurs, nous étions obligés de les priver de beaucoup de choses, et c'est pour cela que je cherche n'importe quel emploi. C'est lui qui m'encourage après avoir refusé depuis des années.” Selon une enquête réalisée par le CENEAP “La société algérienne a connu des transformations profondes dont les repercussions sur la structuration des familles sont encore difficillement quantifiables, mais elles peuvent etre formulées à travers une crise de logement, un niveau de chomage important et une augmentation de l'emploi précaire qui contribuent à alimenter la pauvreté et à accroître les difficultés des chefs de familles”, analyse le Ceneap. Cependant, “l'évaluation des facteurs de developpement met en évidence certaines ruptures sectorielles, territorielles et institutionnelles engendrant des incidences négatives sur la famile algerienne, dont la précarisation et l'appauvrissement de certaines catégories sociales, voire de certaines régions du pays”. “Ce sont ces facteurs qui ont donné cette nouvelle tendance familiale où la femme se trouve obligée de chercher du travail pour subvenir aux besoins de sa famille. En effet, la recherche d'un nouveau modèle de famille ne se fera pas sans heurts au regard des stratégies matrimoniales dominantes. Parmi les faits les plus marquants de cette fin de siècle : le retour de la femme dans le marché de l'emploi. Son rôle au sein de la famille et de la société se posent de manière encore plus exacerbée. Parmi les femmes ayant déclaré exercer une activité à domicile (8,5% des occupées), 50% font de la couture et ou du tricotage et laine, 13% de la vannerie, 11% de la tapesserie et 5% de la pâe alimentaire. Cependant , seul le tiers de cette production est destinée au commerce, les 62% restants passent par un tiers. Il est important de souligner que dans plus de 50% des cas, le rendement des ventes ne revient pas à la personne même. En effet, ces ventes profitent au chef du ménage dans 29% des cas et partagées entre le chef de ménage et la personne concernée dans 21% des cas”, d'après l'étude réalisée par le centre national d'études et d'analyse pour la population et le developpement (Ceneap) sur les mutations des structures familiales. L'activité en dehors du foyer : une question complexe Il est souligné aussi dans le document que “l'activité de la femme en dehors de son foyer est une autre question qui suscite un débat et qui révéle en même temps le degré d'implication de la femme dans le processus de developpement”. Ainsi, 85,9% des avis sont favorables au “droit de la femme à l'emploi, si bien que 69,7% pensent que celle-ci ne doit pas exercer n'importe quelle activité”. Quant aux limites imposées pour l'exercice d'une activité rémunérée, elles résident pour “59% des cas dans la dureté du travail, dans la mixité, dans le milieu de travail pour 14,4% des cas”, selon toujours le document du Ceneap, qui souligne également que si le premier avis se base sur l'incapacité physique de la femme de surpasser les difficultés posées par certaines activités, le deuxième exprime un courant conservateur en ce sens qu'on admet une stratification dans le travail en fonction justement du sexe biologique. Selon les experts du Ceneap, les raisons avancées par ceux qui sont contre le travail de la femme convergent, dans leur majorité (60,5%), a dire que celle-ci doit d'abord fonder un foyer et s'en occuper. En outre, si “84,2% des avis sont favorables au travail de leur fille et 72% de leur sœur, il n'en demeure pas moins que la moitié (50,5%) sont contre le travail de l'épouse et 66,3% de la mère. Cela illustre parfaitement la complexité de la question et dénote les différentes sources de pressions exercées sur la femme en ce sens qu'une femme peut être à la fois sœur, épouse et mère. Ce qui amplifie l'antagonisme autour de ce sujet au sein des ménages élargis”. Entre le travail et la famille, la société tranchait pour la deuxième D'après l'étude du Ceneap, l'activité des femmes à l'extérieur du ménage était, pendant près de deux décennies, une “phase de transition” entre deux modes de vie. “Les changements de statuts matrimoniaux de célibataire à mariée, et celui de mariée sans enfant à mariée avec enfant étaient des facteurs qui mettaient fin à la carrière professionnelle. Entre le travail et la famille, la société tranchait pour la deuxième. Dès que la femme se mariait et avait un enfant, elle quittait, parfois malgré elle, son emploi.” Et c'est pour cela qu'aujourd'hui, 62,7% des femmes optent pour l'activité avant le statut matrimonial. “Il ne faut pas croire que ce sont les mentalités qui ont changé. Simplement, aujourd'hui, l'homme a besoin de l'aide financière de son épouse. Il n'osera jamais avouer qu'il donne son accord à son épouse ou à sa sœur pour aller chercher un travail parce qu'il est ouvert et moderne ou qu'il croit à son droit au travail. Aujourd'hui, nous sommes dans une conjoncture économique des plus difficiles. La contribution financière de la femme est plus que nécessaire”, nous révélera Djamila, professeur dans un lycée. Ainsi, les femmes sont de plus en plus nombreuses à la recherche d'un travail à temps plein ou à temps partiel dans toutes les villes d'Algérie, même pour celles qui sont dans les villages les plus lointains.