“T'kout ma douleur” est un opus de huit chansons qui se veut un cri de douleur. Nous avons rencontré son auteur dans son village natal, Thassa, Oued El Ma, où nous nous sommes longuement entretenus. Liberté : Un nouvel album dédié a T'kout, pourquoi ? Massinissa : Je ne suis pas un ingrat. Les citoyens de T'kout ont beaucoup fait pour moi, je ne fais que rendre le bien. Dans les moments les plus difficiles qu'a connus la chanson chaouie (et ce n'est pas encore fini), ce sont les jeunes de T'kout, toutes tendances confondues, qui ont répondu à l'appel de détresse. Ils ont organisé des soirées, ils ont financé, payé des studios d'enregistrements, des déplacements… alors, aujourd'hui, c'est tout à fait normal que je me positionne, ce sont mes frères. Et je le dis dans la chanson : “La nuit est tombée sur T'kout Pour gagner leur pain quotidien, des jeunes souvent pères de famille, meurent à la fleur de l'âge et laissent veuves et orphelins Cela doit cesser, mes frères ne méritent pas cette mort atroce…” Et même si ça ne se passe pas à T'kout, je suis humain, et je ne peux pas, je ne dois pas rester insensible à un tel drame. Nous sommes en 2010, la bravoure, le chevalier, le cheval blanc… ont-ils encore voix au chapitre ? (Rires) Cela se voit que vous avez écouté l'album. Ben oui, je persiste et je signe que les valeurs humaines n'ont pas d'âge. Je vis dans une région où les traces d'un passé lointain sont omniprésentes. Il y avait harmonie, opulence et partage. C'est peut-être nostalgique de ma part, mais je ne peux m'ouvrir sur les autres, sur le monde, sans me connaître, sans apporter ma part et ma contribution, sinon je risque de disparaître et à jamais. Je suis à mon vingtième album, si je continue à chanter et à produire, c'est surtout grâce à ce grand et vaste héritage culturel berbère qui est le nôtre. Nous avons remarqué votre absence au Festival de Timgad. Pourquoi ? Ce n'est pas une absence mais une occultation et pas la seule d'ailleurs. Sans le prononcer ni le dire ouvertement, des organisateurs du Festival de Timgad, mais aussi du Festival du chantre Aïssa El Djarmouni à Oum El Bouaghi, et du Festival de la chanson amazigh à Béjaïa. Je suis chanteur chaoui d'expression berbère, je me dis que si peut-être je ne fais qu'emprunter le rythme, le tempo et la mélodie chaouis, je ferais l'ouverture du Festival de Timgad. Sérieusement, c'est unique, les chanteurs chaouis (berbérophones) sont exclus d'un festival international qui se passe chez eux. Et je ne suis pas le seul. Aussi bien les groupes comme les Berbères ou Ithrènes (étoiles), que les chanteurs, à l'exemple de Mihoub ou Excel. Il est temps de mettre fin à cette mascarade pour ne pas dire autre chose comme interdiction ou mieux encore ostracisme. Revenons à votre dernier album. Quels sont les thèmes que vous avez abordés ? Au risque de me redire, je rends hommage aux victimes de la taille de pierres de T'kout (d'ailleurs votre journal en parle dans un long reportage), mais il y aussi sept autres chansons, où je reste fidèle (comme vous le dites) à des textes qui me sont chers. Beaucoup d'histoire, de références ancestrales, de l'amour, du courage et des clins d'œil à la situation culturelle actuelle, qui n'est pas des plus brillantes. J'associe ou je compare cette situation, à un homme, inconscient de ses richesses, il cherche le bonheur ailleurs, il veut être un autre, alors que ce même bonheur est au creux de sa main. Mais par obstination et par négation de soi et déculturation, il perd ce qu'il a et ne sera jamais un autre. Pour la simple raison qu'il a refusé d'être lui-même. Vous vous êtes assagi… (Rire prolongé). Peut-être que oui. Père de quatre enfants, Ranida, Massyl, Tacfarinas, Numidia, et avec du recul, on voit les choses autrement, comme vous d'ailleurs. Ceci dit j'assume entièrement mes positions et je demeure fidèle à mes idées. Je suis partisan du nouveau et du changement et je sais que ce n'est pas gagné d'avance. Quand nous avons commencé à constituer le groupe Massinissa à Oued El Ma, il y a 25 ans, ce n'était pas une partie de plaisir, bien au contraire, c'était interdit. Le challenge n'était pas de bien chanter, mais de pouvoir le faire librement en dépit des difficultés. Pour enregistrer, nous étions obligés d'aller en Kabylie chez Tigrini, que je salue au passage. Nous y avons laissé des plumes, mais la route est ouverte, du moins je l'espère. Merci d'avoir fait le déplacement et désolé de ne pouvoir t'offrir un café.