Etre victime de la bureaucratie est-il un crime en soi ? Peut-on en faire les frais et être traduit devant la justice ? C'est ce qu'à montré, avec le rire en sus, le comédien Kamel Bouakaz, dans son one man show. Présenté jeudi dernier dans une salle Ibn Zeydoun pleine comme un œuf, “ce spectacle comme les précédents a permis aux familles de renouer avec la culture”, a affirmé le chargé de la communication. Créé en 2001 dans cette mythique salle, Ennaoura été un tantinet remodelé dans sa structure, avec des improvisations qui n'ont fait que rehausser les capacités artistiques du comédien. Ennaoura est l'histoire d'un fellah très attaché à sa terre, la cultivant avec amour. Ses soucis ont commencé quand la pompe à eau est tombée en panne. De peur que ses cultures ne soient perdues, il se rend dans une société nationale de fabrication de pompes et canalisations en plastique. Pour son malheur ou par malchance, ce n'était pas un jour à mettre son nez dehors. Il arrive dans une société vide, voire fantôme. La cause ? Les élections syndicales. Il ira de bureau en bureau pour “essayer” de régler son problème, mais il ne trouvera aucun écho. Ni responsable, ni directeur, ni employé ne tendront une oreille attentive à sa requête. Il sera plutôt chassé par les agents de sécurité. Et comble de malchance ou de la bêtise humaine, ce fellah sera traduit devant la justice pour “avoir osé pénétrer dans une société étatique sans rendez-vous et gifler un directeur”. D'ailleurs, Ennaoura débute dans un tribunal. Afin de justifier son acte “condamnable”, le fellah demande au président de la cour de raconter son histoire. Peut-être serait-il compris. C'est un retour dans les évènements. Durant presque deux heures, Kamel Bouakaz revisitera la société algérienne, à travers sa bureaucratie. Différents personnages s'incrusteront tout au long du one man show, apportant plus de diversité et de “pep's” au spectacle, sans occulter le personnage principal. Le public aura droit à des prototypes des différentes personnes exerçant dans la fonction publique. Sans exagération aucune, Bouakaz a su exprimer cela à travers la voix et le geste. Entre autres sujets abordés : la bureaucratie, le syndicalisme moribond où chacun ne pense qu'à soi, la dispersion des valeurs, les pots-de-vin, l'ignorance, la langue de bois… Par ailleurs, à travers la voix du fellah et des autres personnages, c'est aussi la politique internationale qui est pointée du doigt. Le constat est négatif : tout va mal. Pas uniquement chez nous. Plus qu'à l'aise sur scène, Kamel Bouakaz, sans trop forcer sur la dose, a sur rallier le public à sa cause. De son entrée jusqu'à la fin du spectacle, l'assistance n'a eu de cesse de rire, voire de s'esclaffer. Une connexion entre le comédien et son public a eu lieu dès le début. S'échangeant des réparties ou rebondissant sur des répliques. L'improvisation était présente. Elle est passée comme une lettre à la poste. Seul bémol : les braillements et autres pleurs des bambins qui dérangeaient. Ennaoura, au-delà de son aspect artistique et comique, est une autopsie au vitriol de la société. Certes, on riait du texte de ce spectacle, mais hélas ! même dans le divertissement, la réalité nous a rattrapés. Mais comme l'a si bien chanté le défunt Hasni, “madem kayen l'espoir, âlach negat'ôu liyesse (…)” (tant qu'il y a l'espoir, pourquoi désespérer ?) D'ailleurs, l'espoir n'a jamais quitté ce fellah, malgré ses mésaventures qui en auraient dissuadé le plus tenace.