Dans l'une des plus belles villes actuelles d'Algérie, aux larges avenues propres et bordées de verdure, Tlemcen, l'ancienne capitale des Zianides, se dore sereinement au soleil de ce vendredi pendant que ses habitants font encore la grasse matinée. Le patriarche qui nous accueille au seuil de sa villa, datant de 1890, au centre de la ville, se fond dans le décor comme une icône angélique avec sa barbe blanche comme neige, son burnous immaculé, modeste et souriant du haut de ses 90 ans passés. Nous l'accompagnons à la prière du vendredi, et il ne sollicite discrètement notre soutien que lorsqu'il faut monter ou descendre une marche du trottoir, ou du véhicule. Bon pied, bon œil, Hadj Mohamed A. Dans sa maison, ensuite, il nous retiendra longtemps pour remonter le temps et les souvenirs d'un passé révolu. Il nous narre ses propres convictions. Le ton est mesuré, qui devient tranchant lorsqu'il parle du soufisme en alternant avec le salafisme. Lui-même est de tarîqa hebriyya (derkaouiyya, chadillyya). “Soufi vient de safa, c'est-à-dire pureté, et les soufis sont des gens de générosité et de richesse de cœur (ahl el karama)”, dit-il, avant de fustiger les adeptes du salafisme. Hadj Mohamed secoue la tête : “On ne retrouve plus de grands savants comme jadis, même ici à Tlemcen, qui a été un centre formidable de rayonnement culturel.” Le patriarche se désole, puis va nous chercher le livre d'or de ses aïeux où sont consignées des notes sur une partie de l'histoire de la tarîqa Hebriyya. Moment de recueillement ou presque devant la sagesse de nos aînés et leur sens de la mesure, trop vite passé, hélas.