Sur les marchés à Boumerdès comme à Boudouaou et dans la plupart des magasins qui en vendent, les diverses catégories socioprofessionnelles se côtoient pour acheter des articles de friperie qui vont des vêtements et chaussures hommes, femmes et enfants, aux accessoires comme les sacs de femme et les articles de literie ou de voyage. Le tout à des prix nettement inférieurs à ceux du marché du neuf, avec la possibilité, lorsqu'on est client assidu, de s'habiller en vêtements griffés, et même plus solides que ce qui se vend dans le commerce du neuf. L'invasion des produits textiles chinois, syriens ou en provenance de Dubaï semble avoir provoqué un grave désenchantement chez la plupart des clients qui se sont résignés à fréquenter les lieux où on vend de la friperie. Quelques jours avant le Ramadhan, dans une petite ville de l'intérieur, les 4 “boutiques” de friperie, pudiquement rebaptisés “stock américain”, affichaient déjà leur volonté de liquider tout ce qui se trouvait encore en stock : 200 DA la chemise, les robes, les pantalons, 400 DA le sac de femme, chaussures à prix variables. Deux magasins se font face sur la route principale, de cette petite ville de l'intérieur, avec un même propriétaire, ce qui explique l'uniformité des prix. On parle de liquidation avant la fin du mois de Ramadhan, pour laisser place à un nouvel arrivage, dès la dernière semaine du mois de jeûne, afin de faire face au probable rush de l'Aïd. Les meilleures occasions, on peut les rencontrer au moment du déballage, connu des seuls initiés, et des amis du patron, avisés à l'avance. Le déballage se fait dans l'arrière-boutique où les meilleures affaires sont accaparées. Le reste est sorti au grand jour pour les clients ordinaires, qui viennent tôt le matin, dès l'ouverture, fouiller dans les ballots avec l'espoir de prendre ce qu'il y a de meilleur. Un peu plus haut que les deux magasins appartenant au même patron, sur la même rue, un autre magasin concurrent propose des articles à 100 DA pour adulte et 50 DA l'article pour enfant, le tout étant en liquidation avant fin Ramadhan. Vers la moitié du mois de Ramadhan, tous les magasins de friperie affichaient des “soldes” : tout à 100 DA, dans le but de préparer la ruée d'avant Aïd avec les nouveaux arrivages prévus pour la semaine précédant la fin du mois de jeûne. Car il faut savoir que la friperie est classée en collection : automne-hiver et printemps-été et qu'elle a de plus en plus tendance à suivre la demande du public. Mais la promesse de renouvellement des stocks avant fin Ramadhan ne semble pas prête à être honorée à quelques jours de l'Aïd. “Il faudra attendre après l'Aïd” pour avoir du nouveau, selon la jeune vendeuse d'un des deux magasins appartenant au même patron. Un patron qui a même offert un véhicule de transport à ses vendeurs, c'est dire si le commerce est florissant. Origine de la friperie et clientèle(s) Selon des informations concordantes, la friperie provient principalement de la frontière tunisienne et les plus gros importateurs se trouvent du côté de Tébessa. Selon les propos de nombreux commerçants, Tébessa est la ville la plus importante du marché de la friperie. Elle est suivie par M'sila et Sétif. Dans les faits, l'est du pays est devenu le fief du commerce de la friperie. C'est à ce niveau que s'apprivisionnent les commerçants en ballots importés d'Allemagne, de France, d'Italie, des Etats-Unis, de Suisse et d'autres pays et destinés à être écoulés sur le marché du détail. Ainsi, d'après les connaisseurs, un premier tri se ferait déjà en Tunisie, avant d'arriver en territoire algérien, à Tébessa, principalement. D'après ces mêmes connaisseurs, la friperie proviendrait de la collecte réalisée par le Croissant-Rouge, la Croix rouge et les organisations caritatives, comme l'association Emmaüs créée par l'Abbé Pierre. Désormais interdite par les autorités algériennes, l'importation de la friperie est réalisée par voie de contrebande, ce qui suppose des complicités à tous les niveaux, eu égard à l'importance des enjeux et des quantités qui continuent à déferler sur le territoire national. Les prix affichés, en général modiques, sont les mêmes dans la majorité des magasins. À titre d'exemple, des chemisettes sont cédées entre 150 et 200 dinars, des manteaux pour femme 1 000 DA. Des prix qui attirent les familles, de plus en plus nombreuses à se rabattre sur la friperie à la recherche de vêtements en bon état, à offrir à leurs gosses notamment durant la période de l'Aïd, ou la rentrée scolaire. Même les jeunes friands de vêtements affublés d'inscriptions “exotiques”, commencent à s'intéresser à ces “stocks américains” d'un nouveau genre. Ainsi, du côté de Bir el-Ater, à Tébessa, principale porte d'entrée de la friperie en gros, en provenance d'Allemagne, existent des dépôts capables d'employer 500 personnes, des jeunes pour la plupart, dans le triage des ballots, puis le remballage en vue de leur vente aux détaillants et demi-grossistes. Dans cette autre petite ville de l'intérieur, de plus de 30 000 âmes, en Kabylie, il existe 4 magasins qui vendent exclusivement de la friperie. La plupart de ces magasins affichent une enseigne “stocks américains”, ce qui est nettement plus valorisant que “friperie”, avec un slogan aguicheur du genre “cherche tu trouves”. Mais cela n'a pas l'air d'enchanter tout le monde, en témoigne Khelil, 59 ans, qui affirme : “On est retourné aux années 1960, juste après l'Indépendance. C'est le président Houari Boumediene qui a supprimé les stocks américains. Et voilà qu'aujourd'hui la friperie, pour citer quelques exemples, occupe une surface importante au marché hebdomadaire de Boudouaou et 60% au souk bi-hebdomadaire de Boumerdès (lundi et jeudi), soit plus que les fruits, légumes ou les vêtements et chaussures neufs. Parmi ceux qui achètent, on trouve souvent des gens d'apparence aisée qui cherchent des vêtements de qualité à des prix abordables, pour enfants, introuvables sur le marché du neuf où une chemise coûte entre 800 et 2 500 DA. En friperie, un tee-shirt ou une chemise coûtent 200 DA en moyenne”. Désormais on trouve ce genre de magasins, non seulement dans les petites villes mais aussi dans la capitale où ils essaiment pour concurrencer les enseignes à bas prix. On en trouve partout : à Baïnem (un grossiste), à Belcourt, rue Hassiba-Ben-Bouali, ou boulevard Amirouche. Des risques pour la santé existent-ils ? La plupart des commerçants niaient tout risque dermatologique au temps où l'importation de la friperie était permise. C'était en 2008, quand chaque arrivage était soumis à un contrôle sanitaire strict par les services de prévention de la Direction de la santé de la wilaya d'Alger au niveau du port, alors que selon ces mêmes services, tous les vêtements proposés à la vente sont préalablement lavés. Cette marchandise était soumise à un traitement chimique par fumigation avant la moindre mise sur le marché, selon ces services. En outre, la plupart des vendeurs affirment avoir disposé des certificats sanitaires justifiant le risque zéro de leur marchandise. Certificats présentés aux contrôleurs, à la moindre de mande. Mais, de l'avis des spécialistes, le risque existe. D'ailleurs, le ministère de la Santé et de la Réforme hospitalière avait, ces dernières années, lancé une enquête sur le marché de la friperie pour détecter les éventuels risques, sans que les résultats aient jamais été publiés. Evolution du commerce de la friperie On a constaté une légère baisse de l'importation durant l'année 2006, où la quantité de friperie introduite au pays était de l'ordre de 22,67 tonnes pour un coût de 4,69 millions de dollars, contre 23,4 tonnes en 2005 pour une valeur de 5,37 millions de dollars. Il y a eu, par contre, 4,98 millions de dollars d'importations entre janvier et juin 2007 pour une quantité 12,5 tonnes et 13 millions $ en 2008. On ne dispose pas de statistiques fiables pour 2009 et 2010, puisque l'importation de friperie a été prohibée par la LFC 2009. Il semble bien que l'interdiction de son importation ait laissé le champ libre à la grande contrebande sur la friperie, principalement au niveau de la frontière algéro-tunisienne. Neuf mois après la promulgation de la LFC 2009 dont certaines dispositions interdisent la domiciliation bancaire d'opérations d'importation de friperie, ce créneau continue à se tailler une place au soleil, avec de plus en plus de visibilité et des lieux de vente en nombre croissant, avec des magasins spécialisés dans la vente de produits usagés vestimentaires, de literie ou de voyage. Au-delà de la Tunisie, le gros des arrivages provient principalement de 13 pays : Canada, Etats-Unis d'Amérique, Belgique, Espagne, France et Italie. Quelques milliers de commerces risquent de fermer Selon une source proche du ministère du Commerce, rapportée dans la presse écrite, “tant que l'activité n'est pas régulée et le contrôle de la marchandise non maîtrisé, la relance des importations en la matière ne sera pas envisagée”. Mieux, ou pire, c'est selon, le maintien de l'interdiction serait motivé, notamment, par “la difficulté de contrôler cette marchandise, certains produits comme les sous-vêtements et les chaussettes ne doivent pas être commercialisés, au regard des risques de maladies encourus”. Une mesure que la Fédération nationale des travailleurs du textile (UGTA) avait appuyée, tout en appelant à l'encouragement de la production locale afin d'éviter l'importation de vêtements de pays européens et asiatiques. Mais l'Association des importateurs de la friperie, elle, développe un tout autre discours, avec des arguments à la fois d'ordre économique et professionnel, apparemment légitimes. Selon cette association, l'interdiction d'importer de la friperie a occasionné “la perte de centaines d'emplois et contraint les propriétaires de commerces de friperie à baisser rideau”. Les 3 700 commerçants en activité, selon les statistiques de 2009, risquent la fermeture d'ici fin 2010, faute d'approvisionnement, si l'interdiction venait à être maintenue. Il semblerait que la LFC 2009 portant interdiction d'importation d'articles usagés concernait plutôt les pièces de rechange mécaniques, avant d'être étendue à la friperie.