En ratifiant trois instruments internationaux en relation avec les droits de l'Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Charte africaine des droits de l'Homme et la Charte arabe des droits de l'Homme, l'Algérie a prouvé incontestablement sa volonté de s'inscrire dans la logique du respect de ce droit. C'est ainsi que l'intense activité législative de ces dix dernières années dans ce domaine trouve sa principale source d'inspiration dans les conventions susmentionnées. De plus, l'immense chantier engagé depuis une décennie sur la réforme de la justice a engrangé de nets résultats tant au niveau de l'organisation des services en direction du citoyen, du justiciable, qu'au niveau de la formation des personnels. Par ailleurs, le taux d'exécution des décisions de justice est si fort, qu'il a permis à l'Algérie d'être reconnue comme modèle dans ce domaine par plusieurs institutions internationales. En matière de politique pénale, la présomption d'innocence est privilégiée. Au niveau carcéral, les conditions de détention approchent les standards internationaux. Il faut également noter les importantes modifications apportées au code pénal ; la peine de mort a été supprimée pour bon nombre d'infractions, les modifications au code de procédure pénale ; droit à la présence d'un avocat lors de la présentation des mises en cause au parquet ; appels de certaines ordonnances du juge d'instruction ; techniques spéciales d'investigations soumises à autorisations spéciales des magistrats ; délais maximum de la détention provisoire... Pourtant, il est une forme de procès hérité du droit français qui demeure et qui est en complète inadéquation avec les actions menées en faveur des droits de l'Homme par l'Algérie et surtout contraires aux principes énoncés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, je veux citer le tribunal criminel. En effet, l'article 14 de ce pacte international dispose entre autres : 1- Toute personne déclarée coupable d'une infraction a le droit de faire examiner, par une juridiction supérieure, la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi. Or, tel qu'organisé, le tribunal criminel est une juridiction statuant en premier et dernier ressort au niveau de la cour d'appel sans aucune possibilité de recours autre que celle du pourvoi en cassation. Connaissant les conditions de recevabilité du pourvoi en cassation, seuls les moyens de droit peuvent être soulevés, aucune discussion sur l'appréciation des faits par les juges n'est autorisée. Cette anomalie apparaît d'autant plus criante lorsque l'on sait que par ailleurs, l'auteur d'une simple contravention bénéficie du double degré de juridiction (tribunal et cour d'appel) et également d'un droit de recours devant la Cour suprême. De plus, ce jugement contraventionnel est obligatoirement motivé alors que le jugement du tribunal criminel ne l'est pas et que la culpabilité est décidée sur une simple intime conviction ! 2 - toute personne poursuivie a droit à être jugée sans retard excessif. Par ailleurs, malgré la correctionnalisation judiciaire et légale de certains faits criminels le nombre des affaires renvoyées devant les tribunaux criminels en Algérie reste croissant à telle enseigne que par son mode de fonctionnement, une session par trimestre, le tribunal criminel ne pourra plus dans un proche avenir, absorber l'ensemble de celles-ci sans courir le risque de se voir violer les délais maximums légaux de la détention provisoire, ceci d'autant que lorsqu'une affaire est renvoyée elle est enrôlée pour une prochaine session. 3 - Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent. Si les magistrats présidant aux débats des audiences criminelles bénéficient dans leur majorité d'une formation excellente et qu'à ce titre on peut dire que le souci de compétence est respecté, il convient de préciser que la composition du tribunal est collégiale et mixte (magistrats-jury populaire) et que les délibérations sont prises à la majorité des voix. Il est alors fréquent et tous les professionnels vous le diront de voir les assesseurs jurés confondre le fait et le droit et qu'il est souvent difficile d'arriver à faire asseoir cette “intime conviction”. Si le principe de l'échevinage fonctionne convenablement en matière prud'homale et en matière de protection des mineurs cela est dû au fait que les personnes associées aux jugements ont une profession ou une qualité en relation avec la nature des affaires jugées. Ce qui est loin d'être le cas en matière criminelle. De nos jours, il est fréquent en droit comparé que certaines affaires criminelles ne soient plus jugées que par des magistrats professionnels. Tel est le cas en matière de trafic transnational de stupéfiants ou de grand banditisme. Le législateur a voulu outre l'assurance de la protection des personnes associées au jugement de telles affaires, assurer surtout la qualité des décisions. Par ailleurs, il serait curieux de s'interroger sur l'avantage que peut tirer un accusé du droit qui lui ait accordé de récuser, dans un laps de temps très court, trois honorables citoyens tirés au sort, qu'il ne connaît pas, venus participer souvent à contrecœur au jugement des faits qui lui sont reprochés, lorsque le quatrième tiré au sort a de fortes chances de faire pencher négativement la balance. De plus, les citoyens “recalés” ne vous le diront pas, mais ils ressentent souvent cette récusation en audience publique comme une “honte”. Pour toutes ces raisons, celles développées plus haut et celles qui pourront l'être, le tribunal criminel mérite d'être révisé si les termes des instruments internationaux ratifiés doivent être mis en application dans notre droit interne. B. D. (*) Directeur général du Centre de recherche juridique et judiciaire