Pratiques douteuses : dans l'imaginaire collectif et les conversations des cafés, aucun doute possible, douane renvoie à “tchippa”, ou “keuh t'fout”. Qu'en est-il vraiment dans la pratique quotidienne aux frontières ? Aux problèmes de gestion des ports (et aéroports), il faut toujours ajouter les pratiques d'agents indélicats (quel qu'en soit le grade), ce qui aggrave une situation déjà précaire. Selon un ancien responsable opérationnel des douanes “pour être promu inspecteur liquidateur dans un port ou un aéroport, ou dans n'importe quelle zone sous-douane, dans le temps la compétence était le critère de rigueur pour la majorité des postes à pourvoir. Par les temps qui courent, ce type de poste se monnaye, à tous les niveaux. Qu'il s'agisse d'agent de visite voyageurs, d'agent de visite containers (agent de dénombrement de marchandises), ou d'inspecteur liquidateur. Le prix actuel de ce qu'on désigne dans le jargon des initiés par “mandat”, c'est-à-dire affectation (à un poste où l'on peut se sucrer) qui peut durer entre 1 et 10 ans, selon la solidité des soutiens hiérarchiques, leur appartenance clanique ou régionale, leur proximité des centres de pouvoir et ce qui est payé comme pot-de-vin au bienfaiteur-facilitateur, est évalué à 50 millions de centimes, en moyenne. Dès le lendemain, avec la première déclaration en douane, celui qui vient de s'acquitter de pareil mandat, pourrait récupérer entre 20 et 30% de sa “mise”. Ce sera chose facile car il aura affaire à des importateurs qui seront pour la plupart véreux, ou néophytes, et donc peu au fait des procédures douanières. À propos du rôle du transitaire en douane, cet ancien responsable affirme qu'il “représente souvent la colonne vertébrale du trafic”, ajoutant qu'“il existe, naturellement de nombreux transitaires qui s'acquittent de leur travail avec conscience, compétence et intégrité. Le transitaire malhonnête mandaté par un importateur, peut recourir à deux méthodes pour tricher vis-à-vis des douanes : - en surévaluant la valeur de la marchandise ; - ou au contraire en la sous évaluant.” En général on sous-évalue les positions tarifaires élevées à l'import dans le but de payer moins de droits de douanes. On surévalue les droits et taxes des positions tarifaires faibles, toujours à l'import, dans le but de transférer de plus gros capitaux vers l'étranger, avec l'intention de partager le pactole avec l'exportateur étranger complice. L'ancien responsable affirme que “dans ce genre de combine, les Français se classent premiers, tandis que la plupart des Scandinaves et des Allemands refusent d'y tremper”. Toujours, selon cet ancien officier des douanes, “ce genre de trafic qui ne peut échapper à l'examen d'un officier des douanes expérimenté, est une pratique courante qui permet aux plus dégourdis, sinon aux moins regardants, question éthique, de s'enrichir très vite. À titre d'illustration, un simple agent des douanes affecté à la visite (marchandises ou voyageurs) a réussi après quelques années à peine de présence dans les services douaniers, à acquérir un lot de terrain sur la côte ouest d'Alger, et à y bâtir une superbe villa avec piscine ! Qui dit mieux ? On n'ose imaginer ce que possèdent ses supérieurs hiérarchiques, complaisants, faudra-t-il préciser. Il faut préciser que certains de ses supérieurs situés hiérarchiquement beaucoup plus haut tant en grade qu'en classement, continuent à la veille de leur départ à la retraite, de vivre en famille dans un F3 loué en banlieue d'Alger. Il y en a même qui vivent avec femme et enfants dans la cité douanière !” Autre cas de fraude (et de complicité !), le registre du commerce. “Après que le registre du commerce multiple eut été interdit, une parade a été trouvée par les fraudeurs : - créer des registres au nom des parents, des handicapés moteurs, et même… des morts ! Les services de contrôle des douanes ont eu à constater la chose sur le terrain : un importateur qui joue au bienfaiteur et s'empare des papiers d'un handicapé moteur, pour, soi-disant le faire bénéficier d'une pension, et l'inscrit au registre du commerce en tant qu'importateur. Les douaniers ont constaté de visu dans quelle misère il vit, alors qu'il est censé devoir des sommes colossales aux services des douanes, au titre des droits et taxes ! - frauder sur les adresses : pour une rue comportant 100 numéros, on inscrit l'adresse du titulaire du RC, au n°105, etc. Les pratiques de la mafia des conteneurs Ainsi le document délivré aux frontières par les inspecteurs chargés de la répression des fraudes et de la qualité (dépendant du ministère du Commerce) attestant la conformité d'un produit, peut aussi être soumis à la pratique de la “tchippa” selon ce même ancien responsable. Même des employés de l'Epal peuvent exiger leur “tchippa” avant de délivrer la position réelle du container à l'importateur qui aurait pourtant obtenu au préalable le bon d'enlèvement de la part des services douaniers. Cela se passe surtout à la veille des week-ends, avec tous les problèmes (et les coûts) des surestaries que cela suppose. Il faut savoir qu'un camion de transport revient à 15 000 DA entre le port et El-Harrach. Ce tarif est à multiplier par 5 pour Bordj Bou-Arréridj ou Sétif. “La mafia” du port peut aller jusqu'à masquer ou dénaturer le matricule d'un container qui comporte 3 lettres, 6 chiffres, une barre (slash) et un autre chiffre. Il suffit de masquer un chiffre, de le raturer, ou de le modifier, en transformant un 3 en 8, un 1 en 4… “Dans le temps, après la liquidation des droits et taxes (selon l'origine, la valeur et les espèces), par un premier inspecteur, un 2e contrôle obligatoire appelé “révision” était opéré par un autre inspecteur, loin du premier bureau et ne dépendant pas du même service. Ce système a été supprimé officiellement dans le but de diminuer les embûches bureaucratiques. À la place de la révision, on a institué le contrôle a posteriori, sur documents, sur une tranche de 4 ans, avec tirage aléatoire et non pas systématique. Quatre ans est la période maximale avant prescription, selon la règle de la déchéance quadriennale”. En clair, un requin qui échappe au contrôle durant cette période n'est plus passible de poursuites. Et il existe des tas de moyens de l'aider à y échapper, puisqu'on peut toujours justifier la chose par le tirage aléatoire des dossiers à contrôler ! Quant au problème récurrent des surestaries, selon le même ex-responsable, “il ne sera maîtrisé qu'avec la multiplication des ports secs, entre autres solutions, afin de favoriser le dédouanement rapide des marchandises. Mais les ports secs ne peuvent représenter la panacée, car les tarifs d'entreposage y sont 10 fois plus élevés que ceux des ports, des prix exorbitants, non homologués alors que les recettes sont transférables. Les ports secs sont gérés notamment par CMA/CGM, Arkas (des étrangers) À titre indicatif, un container de 40 pieds (environ 15 m), payera pour une première tranche de 15 jours, 40 $/jour. La deuxième tranche, à partir du 16e jour, sera comptabilisée 80 $/jour. Par exemple, un opérateur ayant importé 3 containers de 40 pieds a été contraint de les entreposer de février à août dans un port sec. Il a dû s'acquitter de plus de 3 millions DA de frais de manutention et plus de 1 million DA de surestaries. Comme il s'agit malgré tout de matières premières (bois destiné à l'ébénisterie) assujetties à un taux réduit de TVA et de droits de douanes, les 3 conteneurs transportant 71 tonnes de marchandise, lui ont coûté en fin de compte 8 millions de dinars, dont la moitié en frais d'entreposage et de surestaries.