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Entrepreneurs et gestionnaires : un cadre d'évolution encore segmenté et étriqué
Publié dans Liberté le 13 - 10 - 2010

Au-delà des dernières affaires rapportées par la presse qui ont touché des managers de quelques grandes entreprises du pays, c'est une véritable réflexion autour du statut des gestionnaires et des conditions de prise de risque managérial qu'il faudra soumettre au débat.
La question posée est complexe et n'est pas simple à traiter car la marge entre le droit à l'erreur et la sanction pénale est étroite. Mais il faudra bien passer par là. En effet, la réponse à cette dernière conditionne l'émergence des élites entrepreneuriales sans lesquelles il ne peut y avoir de croissance durable. Examinons d'abord le nouveau contexte qui la balise et ensuite passons en revue quelques initiatives prises ou à prendre dans ce domaine.
À l'aune de cette problématique, trois éléments essentiels caractérisent, de mon point de vue, la situation en Algérie. D'abord le contexte économique algérien, mais aussi international (post crise), est marqué par le retour à ce que les économistes appellent la “centralité économique de l'Etat.” Chez nous cela se traduit par l'ampleur de la dépense publique orientée vers le développement mais pas seulement. Dans le reste du monde on peut notamment relever la création des fonds souverains, le soutien à la communauté bancaire par des fonds publics, le lancement de plans budgétaires de relance et les politiques protectionnistes. Cependant ce qui est particulier au cas algérien, c'est l'insuffisance structurelle de l'offre locale de biens et de services et corollairement le nombre peu élevé et la faible taille des entreprises. Ensuite deuxième élément : l'atomisation des ressources financières, entreprenariales et technologiques du secteur privé algérien censé, en économie de marché, tirer à titre principal et de plus en plus, la croissance. Enfin il faut ajouter l'atonie d'une partie du secteur public économique laissé longtemps sans traitement ni orientation.
Les statistiques récentes de l'ANDI (3e trimestre 2009) illustrent ces situations de façon très significative. Ainsi les projets d'investissements structurants -déclarés sous forme de sociétés par actions (Spa)- n'ont représenté en nombre que 0,61% du total même s'ils représentent le tiers en valeur. En revanche, les entreprises individuelles couvrent 84,30 % des projets déclarés. Si l'on y ajoute les Sarl (7,85%) et les Eurl (5,19%) c'est la quasi-totalité des projets qui est concernée (97,34%). Le croisement de ces données avec celles, de la même source, relatives au statut public ou privé de ces projets confirme notre thèse : le secteur privé avec 3 903 projets représente en nombre 95,73% du total mais seulement les deux tiers en valeur alors que le secteur public avec 9 projets seulement couvre en valeur le tiers du total.
L'enseignement à tirer est que, pour un certain temps encore, la structure entrepreneuriale en Algérie sera doublement mixte: secteur privé et secteur public d'une part, secteur économique algérien (public et/ou privé) et entreprises étrangères d'autre part (51%/49%). Les conséquences sont évidentes : la coexistence, dans l'économie réelle et dans les banques, de statuts de gestionnaires et de risques de gestion différenciés selon le caractère public (total ou partiel), privé ou mixte de l'entreprise considérée poseront problème. Ils en posent déjà sur le marché des compétences. Il faut savoir par ailleurs que toutes les entreprises algériennes sont censées être soumises -elles le sont du reste pour beaucoup de choses- à une même norme commune (code de commerce, code civil,code pénal). Cela pour la simple raison que tous ces gestionnaires gèrent des “actifs sociaux”, au sens du code de commerce, quelle que soit l'origine de leur financement (publique, privée ou mixte). C'est là tout le débat sur la séparation (des droits et des devoirs) entre les propriétaires et les administrateurs d'une part et les gestionnaires d'autre part, nonobstant le caractère privé, mixte ou public de l'entreprise.
Mais ce qui différencie de fait les gestionnaires du secteur public par rapport à ceux du secteur privé c'est surtout leur statut de gestionnaires et leur régime de rémunérations. D'autres y ont ajouté un code d'éthique spécifique au secteur privé. Je pense à l'initiative des promoteurs du Code algérien de gouvernance d'entreprise (COAL) que j'ai trouvée intéressante, mais restrictive de ce point de vue. Ainsi les auteurs du texte y soulignent que “par principe toutes les entreprise sont concernées, (mais) le présent code n'intègre pas les entreprises dont les capitaux sont intégralement étatiques et dont la problématique renvoie à une approche spécifique, notamment du bon usage des deniers publics.” Pour les raisons indiquées plus haut, la seule segmentation utile à opérer aurait été, à mon sens, celle entre le secteur économique formel et le secteur économique informel. Le Forum des chefs d'entreprises (FCE) avait bien compris l'enjeu en invitant et en intégrant des entreprises publiques et de façon plus générale des entreprises de droit algérien. Les initiateurs du COAL se sont probablement inspirés du “code de gouvernance de l'entreprise marocaine” réalisé en 2007 par le Centre marocain des jeunes dirigeants d'entreprise. Mais les itinéraires économiques et sociaux de l'Algérie et du Maroc sont différents notamment en référence au rôle et au poids de leur secteur économique public respectif.
En conclusion, il m'apparaît que la mise en place d'une “norme commune” à toutes les entreprises algériennes et de bonnes pratiques en termes de dépénalisation du risque de gestion et de statuts professionnels motivants reliés aux niveaux de responsabilités et aux résultats serait un facteur puissant de promotion des élites économiques algériennes et des partenariats étrangers. Le reste, c'est-à-dire les mutations socioculturelles y compris le rétrécissement des activités informelles et le passage de la propriété familiale à la propriété sociale des entreprises, suivra. On y verrait alors, le moment venu, des fusions acquisitions entre entreprises privées algériennes et l'éclosion de partenariats publics/privés conduits par des gestionnaires motivés car sécurisés. Après tout pourquoi pas ?


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