Le processus électoral au Brésil est décortiqué par notre collaborateur, qui a suivi de près les dernières élections générales au pays de la samba. Il est 18h20, les bureaux de vote ont fermé à 17h00, les premiers résultats tombent. Je décide d'aller prendre le pouls de l'électorat devant le siège du TRE (Tribunal régional électoral). La rue qui y mène est barrée par deux motards de la police. Je laisse la voiture à proximité et continue à pied jusqu'au lieu de rassemblement. La police montée est également sur les lieux. L'élection mobilise une grande partie des forces de sécurité. Quelques criminels profiteront sûrement de cette aubaine. Cinq jours avant les élections et 48 heures après, aucun électeur ne peut être arrêté ou détenu, à l'exception des cas de flagrant délit ou de sentence criminelle. Un groupe de militants, de curieux et de journalistes est déjà planté devant l'écran, mis à disposition par le tribunal. Des vendeurs de pop-corn (pipoqueiros) et de milho verde (maïs cuit à la vapeur) attendent patiemment le chaland. Il faut avoir un œil perçant pour distinguer les chiffres et les pourcentages qui défilent dans le flou. Les premiers applaudissements se font entendre. Les moins avisés (dont je fais partie) ont du mal à interpréter les données brutes. On se consulte pour en savoir plus, mon voisin m'informe que ce sont d'abord les résultats du Sud qui sont publiés. C'est ce qui explique le faible score du DEM, parti dont il est membre. Les équipes des différentes formations arrivent à un rythme rapide. Le rouge du PT se fait plus présent. Les drapeaux brésiliens se combinent avec ceux des partis. L'ex-secrétaire à la sécurité, candidat à la députation, surnommé Rambo en raison de ses mises en scène sur les théâtres d'opération de la police, arrive avec deux enfants. Cette fois en survêtement. La tenue de combat et les gros calibres sont rangés au placard. Le style a changé, élection oblige. Il attendra discrètement sur le côté. Deux ou trois électeurs viennent le saluer en lui donnant du “doutor” (docteur), titre galvaudé au Brésil. Pour peu que vous ayez atteint un statut social, on vous appellera “doutor”. L'odeur de pop corn grillé s'intensifie en fonction de l'affluence. Je m'approche du vendeur et lui commande un sachet. Le regard malicieux et le sourire en coin, celui-ci me demande si j'ai voté. Je lui explique que je ne suis pas Brésilien et lui retourne la question. Il répond qu'il ne vote pas car on ne peut plus mettre de noms sur les bulletins. Pourquoi ? “Parce que j'aurais mis le nom de Beira Mar, Macarrao et Bruno”, dit-il, avant de s'esclaffer. Manière de tourner en dérision la corruption des élites. Les personnes citées se sont toutes distinguées dans des affaires sanglantes. Deux combis Volkswagen du pouvoir judiciaire, escortés par la police, interrompent notre discussion et se fraient un chemin dans la foule. Il s'agit du transport des précieuses urnes électroniques. Le système de contrôle des urnes reste opaque pour la majorité des citoyens. Qui a le droit d'auditer le dépouillement électronique ? Des pays qui utilisent ce système de vote, le Brésil est le seul Etat au monde où une seule institution, le TSE (Le Tribunal supérieur électoral) et ses branches régionales, les TRE (Tribunaux régionaux électoraux), a le pouvoir de compter les votes. Aucune autre entité indépendante n'a le droit de superviser le comptage des votes électroniques. Les candidats et les électeurs n'ont donc pas accès à cette phase cruciale du processus électoral. Inquiétant, lorsqu'on sait que le pouvoir judiciaire a déjà été entaché par des scandales de népotisme, de ventes de sentences et de fraudes aux concours publics. Depuis son introduction au Brésil, en 1996, le vote électronique est sujet à de nombreuses interrogations. Pour rappel, ce système de vote a déjà été testé aux Etats-Unis en 2004 et 2006 avant d'être retiré par manque de fiabilité. Les pays voisins, comme l'Argentine et le Paraguay, ont également renoncé à adopter le système brésilien après en avoir démontré la vulnérabilité. Le Brésil, à travers le vote électronique, montre toute l'étendue de ses contradictions. La maîtrise des technologies les plus avancées et la défense du suffrage obligatoire peuvent parfois mener à un système hors de contrôle. C'est à croire que tous les géants ont des pieds d'argile.