Si les partis en lice pour les législatives n'ont pas innové pour capter l'électorat, la population locale leur rend la monnaie en se comportant avec l'échéance comme s'il s'agissait d'un non-évènement. Même la présence d'une femme, qui reste anonyme, comme tête de liste ne s'est pas imposée comme sujet de discussion. Àmoins d'une semaine de la fin de la campagne électorale, le spectre de l'abstention plane toujours sur la troisième wilaya du pays. Aucune effervescence n'est enregistrée, hormis les quelques meetings tenus au niveau des salles réservées à cet événement et qui n'ont pas drainé les foules. On est loin des premières années de l'expérience démocratique, où le célèbre Benchérif avec ses fameuses gasaa et gantra, donnait la rhétorique à Djaballah. D'autres temps, d'autres mœurs et discours. Ce sont “la dégradation du pouvoir d'achat et la précarité de la vie quotidienne” qui alimentent les discussions quotidiennes des Constantinois, plutôt que la participation aux prochaines élections législatives. Cette déconnexion du Constantinois vis-à-vis de la chose politique, la veille des législatives du 17 mai, est une réalité que nous avons constatée lors de nos virées effectuées dans la ville des Ponts, dans la banlieue et même au niveau de l'université Mentouri. La majorité des jeunes rencontrés sur la célèbre place de la Brèche ou au campus affichent une flagrante indifférence envers ce rendez-vous. La mission, donc, des candidats à la députation de la nation et leurs partis est des plus délicates quand on sait que 38% des inscrits sont âgés de moins de 40 ans. “À mon avis, les législatives sont devenues malheureusement synonymes de richesse et d'indemnités parlementaires. C'est pour cette raison que je ne voterai pas le 17 mai”, nous lancera Souad, une étudiante à l'université centrale Les Frères-Mentouri, avant de continuer à commenter avec son amie les dernières nouvelles de Star Academy Maghreb. Son amie Dalia risque, elle aussi, d'être du même avis. “Je suis indécise. Les noms des candidats affichés à travers les panneaux publicitaires n'ont pas retenu mon intérêt et les discours des têtes de liste ne m'ont pas encouragée à prendre une décision définitive. C'est pour cette raison qu'à 80%, je serai parmi les abstentionnistes”, présage-t-elle. Kamel, un jeune de 30 ans, rencontré à l'entrée de la veille ville, nous confia qu'il a égaré sa carte de vote et qu'il ne compte même pas retirer une autre au niveau des services concernés pour la simple raison qu'il ne franchira pas le bureau de vote le jour J. “Je suis en chômage depuis plus de six ans, les députés et les responsables changent mais ma situation est toujours la même. Je ne fais plus confiance au discours des politiques et à leurs programmes”, conclura-t-il sans équivoque. Un désintérêt affiché Devant les panneaux réservés à l'affichage des listes des candidats à la députation, plantés en plein centre-ville, de petits groupes de curieux examinent les noms et les photos des candidats : “Regardez tous ces candidats qui nous demandent, nous pauvres citoyens, de voter en leur faveur pour qu'ils puissent bâtir le pays. Mais enfin, pour qui nous prennent-ils ?” Ou encore : “On sait d'avance qu'ils veulent deux choses, le siège et l'argent”, commentent les uns et les autres entre deux “Chkoun hadha ?” (qui est-ce celui-là ?). Chez Mohamed, ingénieur dans une entreprise publique, c'est un autre son de cloche. Il se dit décidé à accomplir son droit constitutionnel afin de participer à la stimulation de la vie politique. “Vu que je suis un sympathisant d'un parti qui a choisi la participation au prochain suffrage et qui plaide pour le vote massif pour contrecarrer la fraude, je me suis résolu à donner ma voix pour sa liste”, argumente notre interlocuteur. Au marché des Frères-Bettou, dans l'ex-quartier de Saint-Jean, Adra, mère de 3 enfants et enseignante dans un lycée, nous a révélé qu'elle ne vote pas quand il est question des législatives. “J'utilise ce droit quand il est question de présidentielle ou lors d'élections locales”, explique-t-elle. Ce désintéressement a mis les responsables de plusieurs partis politiques dans l'embarras, les obligeant, du coup, à revoir leur stratégie et leurs calculs, comme le constatent les observateurs de l'actualité politique locale, d'autant plus qu'à Constantine, l'abstention est une tendance lourde chez l'électeur local. Ainsi, les 21 listes validées par l'administration locale ont été obligées d'opter pour le système “du porte-à-porte”, pour convaincre les 523 028 inscrits sur le fichier électoral et appeler à voter dans 1 050 bureaux, répartis à travers la wilaya de Constantine. “Votez nombreux” est le refrain d'une chanson que les citoyens entendent depuis l'annonce officielle de la campagne électorale qui risque de se terminer terne. Les représentants locaux de plusieurs formations politiques engagées dans la bataille électorale nous ont confirmé l'indifférence d'une grande partie des habitants de la wilaya. Interrogés sur les causes de ce flagrant désintéressement, ces derniers nous ont révélé que, généralement, les législatives n'éveillent pas le grand intérêt chez le citoyen dans notre pays. En plus, le manque d'informations et les récents événements liés aux actes terroristes sont derrière ce fléchissement. Et d'ajouter : “Nous affronterons cet épreuve, en multipliant les actions de proximité.” Pour limiter les éventuels dégâts liés à l'abstention au vote et afin d'obtenir davantage de voix, les deux poids lourds, à savoir le RND et le FLN ainsi qu'El Islah version Boulahia et El Nahda, semblent recourir à une nouvelle approche. Ils essaient de chasser des voix au sein de ce qu'on qualifie de majorité silencieuse. Car l'enjeu est, aujourd'hui, de ramener les gens à voter indépendamment de la liste choisie. En effet, les deux gros cylindres ont instruit leurs adhérents et militants, au niveau de la wilaya, depuis plus de trois semaines, pour persuader les citoyens de sortir le jour J et de voter massivement. Chaque parti espère que les urnes seront en sa faveur ! “Notre stratégie repose sur deux points essentiels : aller vers les gens, leur expliquer la nécessité du vote et de gagner leurs voix”, nous a déclaré le secrétaire du bureau de wilaya du RND, en l'occurrence Abderrahmane Rafaâ, qui drive la liste des candidats à la députation. Avant de renchérir : “Nous avons opté pour une campagne électorale basée sur le travail au corps. Notons que le programme de la campagne électorale comporte aussi des meetings mais ces derniers ne sont pas nombreux.” Une campagne morne et sans tonus De son côté, M. Habbachi, directeur de la campagne électorale, membre de la mouhafadha du FLN, affirme que les opérations de sensibilisation des structures au niveau de la wilaya ont été lancées avant l'annonce officielle de la campagne électorale et que la tête de liste, M. Chihoub, ex-président de la commission juridique de l'APN, a effectué des tournées avec les militants du parti afin de préparer le terrain. “Sensibiliser le citoyen et le convaincre d'aller voter est notre objectif”, nous a affirmé notre interlocuteur. Le programme du FLN reflète, en effet, cette nouvelle stratégie puisqu'il comprend pas moins de 22 actions de proximité durant 19 jours à travers plusieurs communes, kasmas et établissements, contre 11 meetings populaires seulement. Dans le même contexte, les représentants d'Ennahda à Constantine comptent revenir en force sur la scène politique locale. Ils œuvrent pour réinvestir un réservoir électoral très sollicité durant toutes les échéances électorales, “les quartiers populaires”. “Nous sommes convaincus que le meilleur moyen pour les gens d'aller voter en masse le jour du scrutin est de faire du porte-à-porte à travers les cités populaires, ô combien nombreuses dans notre wilaya”, nous a affirmé M. Habchi Tahar, tête de liste des candidats à la députation. Pour le président de la commission de wilaya de surveillance des élections, M. Loucif, la campagne électorale se déroule dans le calme. “Aucun recours n'a été enregistré jusqu'à présent. La commission a réglé tous les problèmes dans un cadre relationnel et pédagogique”, dira-t-il. En effet, une charte d'honneur a été adoptée par tous les partis et les représentants de la liste d'indépendants en lice pour les prochaines législatives, pour le bon déroulement de la campagne électorale et le rendez-vous du 17 mai. “Cette initiative est unique dans notre pays, elle comprend plusieurs recommandations, dont la sensibilisation des citoyens à voter massivement et d'éviter les propos blessants durant la campagne électorale”, conclut notre interlocuteur. Selon des pronostiqueurs, les prochaines législatives enregistreront un taux d'abstention assez élevé. Preuves à l'appui, ils disent qu'après plus de dix jours de son lancement, la campagne électorale est toujours morne et sans tonus. Quatre présidents de partis politiques, lors de leurs meetings, n'ont pas réussi à susciter l'intérêt des Constantinois. Concernant les résultats proprement dits du scrutin, les mêmes observateurs présagent des scores ouverts à toutes les éventualités. Bien que les deux partis lourds, à savoir le FLN et le RND, partent avec une longueur d'avance. Et d'ajouter : “Les deux cylindrées rafleront pas moins de 6 sièges des 10 réservés à la wilaya de Constantine.” A. B.