Les ministres des affaires étrangères des cinq membres permanents du Conseil de sécurité ont entamé hier à Genève de difficiles discussions sur l'avenir de l'Irak, Paris et Washington se heurtant de front sur le rythme de la transition démocratique et le rôle dévolu à l'Onu. Après des contacts bilatéraux dans un grand hôtel proche du Palais des nations, siège européen de l'Onu, les ministres ont été conviés à un déjeuner de travail par le secrétaire général de l'Organisation, Kofi Annan. Après Genève, le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, se rendra à Bagdad via le Koweït, pour sa première visite en Irak depuis la chute de Saddam Hussein en avril dernier, a annoncé le département d'Etat. Il sera le plus haut responsable américain à se rendre sur place depuis cette date. Dans l'avion qui l'amenait à Genève, Colin Powell avait donné une réponse cinglante aux propositions faites la veille par son homologue français, Dominique de Villepin, qui avait notamment recommandé la désignation d'un représentant spécial de l'Onu chargé de dialoguer avec la coalition et “les institutions irakiennes existantes” pour élaborer un calendrier précis et rapide de transfert du pouvoir aux Irakiens eux-mêmes. Il avait souhaité qu'un projet de Constitution soit soumis avant la fin de l'année et des élections générales organisées “dès que possible, d'ici au printemps 2004”. Des propositions “totalement irréalistes”, a rétorqué M. Powell. Il “serait merveilleux de pouvoir les appliquer, mais malheureusement on ne le peut pas”. Il a rappelé qu'il était hors de question pour Washington de se voir déposséder ainsi du dossier irakien. “Franchement, a-t-il dit, si M. (Paul) Bremer (l'administrateur civil américain) et son équipe n'étaient pas là, si l'autorité provisoire de la coalition n'était pas là, qui ferait ce travail ? L'Onu a-t-elle vraiment le personnel pour prendre les responsabilités qu'une telle stratégie implique ?” L'Amérique souhaite certes que le reste du monde prenne sa part du fardeau qu'elle assume dans l'après-guerre en Irak (130 000 soldats et des dizaines de milliards de dollars). C'est le sens du projet de résolution qu'elle a déposé au Conseil de sécurité et des appels insistants du président George Bush. Mais Washington entend bien rester aux commandes et conserver les bénéfices politiques et économiques de l'opération. M. Powell juge par contre que le volet militaire du projet de résolution américain — la création d'une force multinationale sous mandat de l'Onu, mais sous commandement opérationnel américain — pose beaucoup moins de problèmes. Sur ce point, M. de Villepin admet que “ces forces pourraient rester sous le commandement du principal contributeur de troupes”. Contrairement aux Français, les Russes “cherchent à jouer un rôle positif”, a souligné M. Powell. Tout en présentant, comme Paris, des amendements au projet américain allant dans le sens d'un renforcement du rôle de l'Onu, Moscou se montre plus respectueux des prérogatives de Washington. Falloujah (Irak) Grève générale de protestation anti-US Les autorités locales de Falloujah, à 60 km de Bagdad, ont appelé, hier, à un jour de "grève générale", aujourd'hui, pour protester contre la mort, par des tirs américains, de neuf membres des forces de sécurité de la ville. "Nous appelons la population à participer à une grève générale aujourd'hui pour protester contre le massacre et honorer la mémoire de nos martyrs", indique un communiqué commun signé par des responsables politiques, des chefs de tribus et l'administration locale de la ville. Le texte demande une réunion immédiate avec le Conseil régional désigné par les Américains, basé dans la ville voisine de Ramadi, afin "d'examiner la situation et prendre les mesures qui s'avèrent nécessaires et appropriées". Un deuil de trois jours a été décrété, a indiqué le texte alors que Falloujah s'apprêtait à enterrer à 17h00 locales (13h00 GMT) ses morts après la remise des corps par les forces américaines. Le communiqué qualifie la mort des policiers "de massacre odieux" commis par des troupes américaines "contre des gens qui ont fait le serment de protéger la cité brave de Falloujah et de sa population". Les victimes "faisaient leur devoir en poursuivant des criminels, et il n'y a aucune excuse pour ce massacre", affirme le texte qui appelle la population à soutenir ses forces de sécurité.