Le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) s'est déclaré, en dépit des soupçons des autorités turques, totalement étranger à l'attentat suicide qui a fait 32 blessés dimanche dans le centre d'Istanbul. La polémique n'est pas épuisée pour autant. Le gouvernement note que l'attentat a été commis le jour où expirait un cessez-le-feu unilatéral d'un mois décrété par le PKK et que les techniques utilisées et les progrès dans l'enquête laissent penser, avec une probabilité de 90%, que le PKK est responsable de cette attaque. Mais le mouvement séparatiste kurde, classé comme terroriste par Ankara, Washington et l'Union européenne, et qui combat depuis 26 ans pour l'autonomie ou l'indépendance du sud-est de la Turquie, précise, dans un message diffusé sur internet, qu'il proroge la trêve qu'il observe depuis un mois jusqu'aux élections législatives de juin 2011. En aucune façon, nous ne pouvons être impliqués dans un tel attentat le jour où notre organisation s'apprêtait à faire un pas vers la paix et une solution démocratique, déclare le PKK. À la décharge du PKK, l'attentat a éclaté alors que plus d'une centaine de responsables locaux du parti pro-kurde légal (DTP) sont actuellement jugés pour appartenance justement au PKK. L'implication de celui-ci dans l'attentat est d'autant plus difficile à admettre que les dirigeants du PKK déploient des efforts plus tôt pour enclencher un processus de négociations avec le gouvernement qui, même s'il ne dit pas son nom, devrait marquer un tournant en Turquie. Les enquêteurs ont fini par privilégier toutes les pistes. Outre le PKK montré du doigt par le Premier ministre, les services de sécurité n'écartent pas l'hypothèse d'une opération menée par l'extrême gauche armée, coïncidant avec l'arrestation d'une quinzaine de membres d'un groupuscule violent, le DHKP/C (Parti-Front de libération du peuple révolutionnaire), à l'origine de grèves de la faim dans les prisons en 2000-2001 et impliqué dans un attentat suicide qui avait fait deux morts sur la même place Taksim en 2001. Par contre, la police turque tient pour peu probable la piste islamiste ! Mais, aux yeux de spécialistes, le lieu de l'attentat, le centre très fréquenté de la capitale économique et culturelle turque, la célèbre place Taksim, plaide plutôt pour une action d'El-Qaïda. Celle-ci avait perpétré, en novembre 2003 à Istanbul, une série d'attaques coordonnées qui avaient fait 62 morts et des centaines de blessés. Le gouvernement a-t-il éradiqué du territoire l'islamisme radical ? À voir et même s'il faut se garder d'oublier que la Turquie est également le terrain d'autres organisations activistes, plus anciennes que la nébuleuse islamiste. Des mouvements d'extrême gauche, des nationalistes ulcérés par le pouvoir entre les mains de l'AKP, un parti islamiste qui expérimente la version islamiste de la démocratie chrétienne, avec même un certain succès. Et, bien sûr, les séparatistes kurdes et leurs dissidences, comme les “Faucons de la liberté du Kurdistan” qui ont commis dans le passé des attentats à la bombe à Istanbul, de leur propre chef. La méthode de l'attentat aveugle au kamikaze reste généralement l'arme privilégiée d'El-Qaïda. Et puis, la semaine avant l'attentat, la police turque a appréhendé 12 personnes soupçonnées de liens avec le réseau El-Qaïda et de préparation d'attentats terroristes. Les suspects ont été arrêtés lors de deux opérations lancées simultanément à Istanbul et dans la province de Van dans l'est de la Turquie. L'agence de presse Anatolie, qui a cité des officiels turcs, a indiqué que la police a saisi, lors de ces deux opérations, plusieurs types d'armes, des explosifs, des matériaux utilisés dans la confection de bombes et de nombreux documents. Ce coup de filet était intervenu une semaine après l'arrestation de cinq personnes accusées d'apporter des aides financières et techniques au réseau El-Qaïda en Afghanistan. El-Qaïda s'attaque à un maillon important de la nouvelle géopolitique du Proche-Orient. La Turquie, traditionnellement dans le camp occidental, est devenue fréquentable dans la région, notamment au sein de ses voisins arabes depuis qu'Ankara s'est éloigné d'Israël avec qui son état-major s'était lié par des accords militaires stratégiques. La Turquie, c'est l'expérience, apparemment réussie, d'un système islamique laïc et respectueux de règles démocratiques dans la vie courante. Un mauvais exemple pour les djihadistes radicaux.