Plus de 4 000 personnes ont battu le pavé à Fréha. La rue a grondé contre le phénomène des kidnappings qui ciblent curieusement la seule Kabylie. Les marcheurs ont interpellé l'état sur son silence au sujet de la terreur qui règne dans la région. L'image est saisissante : des jeunes déployant des banderoles sous une pluie battante offrent leurs parapluies aux personnes âgées à la tête de la manifestation. Celle-ci se voulait silencieuse en signe de deuil, suite au décès de l'entrepreneur Hend Slimana lors de la tentative d'enlèvement qui l'avait ciblé. Le geste des jeunes organisateurs renseigne sur leur détermination à barrer la route aux tenants de la terreur en Kabylie. Il est 10 heures tapantes. Fréha est déjà ville morte ; les commerces ont baissé rideau à l'appel de la cellule de crise née depuis le kidnapping d'Omar Slimana, 35 ans, libéré dimanche après sept jours de captivité. Les animateurs de la cellule de crise organisent les carrés de la marche pacifique qui ne tardera pas à s'ébranler à partir du stade municipal. Plus de 4 000 personnes ont répondu présent. Outre les archs d'Aït Jennad et d'Aït Ghobri, plusieurs délégations sont venues des quatre coins de la wilaya, voire au-delà. Des représentants de comités de village de Larbaâ Nath Irathen, Ouadhias, Iflissen, Tigzirt ont pris part à la marche. Des parlementaires du RCD, le président de l'APW, Mahfoud Belabbas, des maires et des élus locaux étaient également présents. Des représentants du MAK aussi. Un membre de la cellule de crise, organisatrice de la manifestation, exhorte à l'aide d'un mégaphone les citoyens à rejoindre la marche silencieuse. Ce qui fut fait. C'est ainsi que les rangs de la marche grossissaient au fur et à mesure. Plusieurs banderoles sont déployées, portant plusieurs slogans : “Halte aux kidnappings”, “Non à l'impunité”, “Halte à la dévitalisation de la Kabylie”, “Hend est toujours vivant”, etc. Mais l'un des mots d'ordre résume à lui seul toute la problématique de l'insécurité en Kabylie : “Où est l'état ?” C'est l'interrogation de la population devant ce phénomène des kidnappings qui ciblent curieusement la seule Kabylie. Pourquoi ? Empruntant les principales artères du centre-ville, la procession humaine continue pianissimo son bonhomme de chemin jusqu'au point de chute prévu devant le siège de la mairie de Fréha. Il est 10h40. Sur place, les maires de Fréha, Timizart et Aghribs ont pris la parole pour réitérer l'appel à la mobilisation, mais surtout la détermination de la population à faire face aux tenants de la terreur qui veulent dévitaliser la région déjà plongée dans le gouffre du sous-développement socioéconomique. Messages politiques “à qui profite le kidnapping, si ce n'est à ceux qui veulent déclarer une guerre économique contre la Kabylie ?”, fulmine un intervenant. “Aujourd'hui, nous avons cassé le mur de la peur. Basta ! Le pays ne se construit pas par la corruption et les kidnappings ; il se construit à coup de sacrifices comme avait su le faire Hend sa vie durant”, déclare Rabah Yermèche, maire d'Aghribs. Après deux mots placés par le père de l'otage libéré et par le fils de l'entrepreneur mortellement blessé lors de la tentative d'enlèvement, le sénateur RCD, Mohand Ikherbane, n'est pas allé par trente-six chemins pour restituer la portée de l'action de protestation d'hier. Celle-ci visait, selon le parlementaire, un double message politique. D'abord à l'endroit des tenants de la terreur qui veulent maintenir la région dans le sous-développement en mettant les entrepreneurs et autres investisseurs sous la pression des rapts récurrents. Des kidnappings qui ne sont plus revendiqués, depuis un certain temps, faut-il le préciser, ni élucidés par des enquêtes approfondies. à l'adresse des pouvoirs publics ensuite. Tout en dénonçant les premiers, M. Ikherbane n'a pas ménagé l'état accusé de “silence coupable, voire complice”. Un silence compris par l'orateur comme un désintérêt de l'état quant au sort de la Kabylie qui affronte seule la terreur des enlèvements. “Pourquoi c'est seulement en Kabylie ?” L'interrogation du sénateur du RCD est lourde de sens. Pour ce dernier, la Kabylie, devant la démission de l'état, est décidée à prendre son destin en main. C'est pourquoi, “nous devons retrouver notre solidarité dans l'union”, comme pour répondre en écho à une banderole accrochée sur le fronton de la mairie et barrée par ce slogan évocateur : “Restons unis et solidaires.”