Euphorie en Turquie, embarras en Europe. La victoire du parti islamiste turc aux élections législatives constitue une douche écossaise pour l'Union européenne. L'évènement a fait les Unes de la presse internationale si bien que le leader du parti, Recep Tayyip Erdogan, a tenu d'emblée à rassurer tant les Turcs que ses nouveaux partenaires sur ses intentions. D'abord les Turcs. Dans une déclaration faite hier, Erdogan affirme : “Nous n'interviendrons pas dans le mode de vie des citoyens.” Première assurance pour dissiper les craintes de ceux qui voient dans le sacre du parti islamiste une possible remise en cause des principes laïques de la République. Seconde phrase à l'adresse de l'Union européenne dont la Turquie est candidate à l'adhésion. “Nous allons accélérer la candidature de la Turquie à l'intégration européenne”, souligne Erdogan dans la même déclaration. Voilà donc pour les bonnes intentions. Reste le son de cloche de l'Europe et des Etats-Unis. Paris a fait savoir par la voix de son ministère des Affaires étrangères que les élections sont “un changement politique important” qui “traduit la volonté du peuple”. De son côté, la Commission européenne se dit “prendre acte” des résultats non sans lancer une mise en garde à peine voilée à l'adresse du nouveau gouvernement qui prendra en charge les affaires du pays. “Cela a été un choix démocratiquement exprimé, ce qui compte ce sont les actes, pas les mots”, affirme le communiqué de la Commission européenne. De son côté, Washington annonce vouloir poursuivre sa coopération avec la Turquie, tout en invitant l'UE à encourager l'intégration de ce pays. “Nous espérons que la Turquie continuera de s'approcher de plus en plus près de l'Occident, via une association, de plus en plus, de l'UE”, affirme le secrétaire d'Etat américain adjoint pour les affaires politiques, Marc Grossman. Au-delà des assurances des uns et des souhaits des autres, il reste deux grandes questions : comment un parti islamiste devra-t-il gérer un pays dont les principes laïques sont clairement énoncés dans la constitution ? L'Europe chrétienne acceptera-t-elle d'intégrer en son sein un pays désormais géré par un parti islamiste ? S'il est trop tôt de se prononcer, tout le monde se retourne du côté de l'armée turque, seule véritable garante de la constitution. Si pour l'heure les généraux turcs se gardent de se prononcer, on se souvient aisément de l'épisode Erbakan. Le 28 février 1997, l'armée turque est intervenue pour démettre le Premier ministre Necmettin Erbakan avant que la justice ne décide de dissoudre son parti, le Refah. Ce fut un coup d'Etat sans effusion de sang et sans déploiement des chars. Pourtant, le Refah avait démocratiquement gagné les élections législatives. Tout comme aujourd'hui son successeur, l'AKP. F. A.