Le sud du Soudan est déjà un pays indépendant. Les partisans de la sécession n'ont cessé de déambuler depuis la date de clôture des listes électorales, au rythme de musiques endiablées, t-shirts ornés de slogans sécessionnistes, dans les rues des villes du Sud-Soudan, plus bruyamment à Juba, sa capitale, à un mois jour pour jour du référendum d'indépendance de la province soudanaise. “Oui à l'indépendance, non à l'unité !” scandent les manifestants qui célèbrent chaque jour de décompte à rebours référendaire. À Juba, le mausolée de John Garang, chef historique de la rébellion sudiste décédé dans un écrasement d'hélicoptère en 2005 peu après avoir signé la paix avec Omar El-Bachir le président soudanais, ne désemplit plus. Le référendum est prévu le 9 janvier. La campagne d'inscription sur les listes électorales a commencé le 15 novembre, s'est poursuivie jusqu'au premier décembre et tous les habitants du Sud, vivant dans la province mais aussi dans le Nord et à l'étranger, sont convaincus que le vote va aboutir à la partition du plus grand pays d'Afrique et à la création d'un nouvel Etat enclavé au cœur du continent. Le Parti du Congrès national (NCP), du président Omar El-Bachir, a beau avoir déployé tous ses efforts et ses possibilités pour contrarier le rendez-vous électoral, l'écrasante majorité des sudistes, qui comptent environ cinq millions de personnes, dont un demi-million au Nord-Soudan et autant à l'étranger, a pu s'inscrire, selon l'ONU qui fournit une aide logistique à la commission référendaire. L'autonomie de la province s'est installée dans les faits depuis la fin de la guerre civile Nord-Sud. Juba est devenue plus proche de l'Ouganda et du Kenya que de Khartoum. Le visage de la capitale sudiste a radicalement changé. En 2006, c'était un bourg au milieu de la brousse. Maintenant, il y a des immeubles, des services publics, des avenues et même des investissements étrangers. Le mouvement devrait s'accélérer après l'indépendance, pensent les habitants de la province. Mais il y aura beaucoup à faire, car le dynamisme de Juba ne fait que masquer l'extrême pauvreté du Sud-Soudan où la moitié de la population, soit environ quatre millions de personnes, a recours à l'aide alimentaire. En dépit de ses terres agricoles, des dividendes du pétrole, des investissements étrangers et de l'aide internationale, le Sud-Soudan demeure une région sous-développée qui manque cruellement d'infrastructures. Ceci est d'autant plus pertinent concernant les équipements pétroliers, qui se trouvent exclusivement au Nord du Soudan. Ce facteur est essentiel, car il illustre l'interdépendance économique du Nord et du Sud, et la nécessité impérieuse de parvenir, après la partition du pays, à un règlement politique englobant cette dimension. Et à ce niveau, Khartoum a toutes les cartes. Le nouvel Etat appréciera la vraie volonté d'Omar El-Bachir lors des négociations post-référendum dont il est attendu par les partisans de la scission du Soudan qu'elles ouvrent la voie à une coopération interétatique fructueuse sur les principaux enjeux, notamment concernant le partage des richesses et les questions sécuritaires dans le nouvel Etat. Le problème de l'insécurité au Sud-Soudan se renforce avec une intensification des conflits intertribaux dans plusieurs Etats du Centre et du Sud (Sud-Kordofan, Jonglei, Haut-Nil, Equatoria central et occidental), ainsi que dans les territoires à statut spécial (Abyei, Monts Nouba, Nil bleu). Bien qu'il soit dû majoritairement à des luttes pour le contrôle des terres et des ressources naturelles, ce phénomène est aggravé par la prolifération des armes en circulation due, entre autres, à de multiples interférences étrangères. Il faut également s'attendre à d'autres difficultés inhérentes à la réintégration des populations réfugiées et déplacées. Pour juguler et réguler ces violences, le futur Etat du Sud-Soudan prévoit de renforcer ses capacités sécuritaires, avec notamment la professionnalisation de son armée de libération (SPLA). Reste que le nouvel Etat est inscrit dans des contraintes internes et internationales fortes : problèmes avec le Nord, tensions intertribales, jeux d'influence de pays voisins. Saura-t-il relever le défi de sa naissance ? Et le Nord sera-t-il capable de relever le défi de sa partition en acceptant les concessions et les compromis nécessaires en termes de partage équitable des richesses ? Déjà un couac : l'accord de paix ayant mis fin en 2005 à 22 ans d'une guerre Nord-Sud prévoit en fait deux référendums le 9 janvier. L'un sur la sécession du Sud-Soudan et l'autre sur le rattachement de la région contestée d'Abyei, située à la lisière du Nord et du Sud-Soudan. Tout le monde s'accorde pour dire que le référendum d'Abyei ne va pas avoir lieu à la date prévue. La loi référendaire d'Abyei accorde le droit de vote à la tribu sudiste Dinka Ngok, mais pas aux Misseriya, des nomades arabes qui craignent de perdre l'accès à l'eau et au pâturage de cette région contestée si elle est rattachée au Sud-Soudan. L'ex-président sud-africain Thabo Mbeki, médiateur de la crise postélectorale en Côte d'Ivoire, était la semaine dernière à Juba afin de trouver une solution à l'impasse d'Abyei. Une solution acceptable doit obtenir l'assentiment du président soudanais Omar El-Bachir. Improbable, la région, placée entre le Nord et le Sud, étant la plus riche en pétrole.