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Bouteflika se sert des disparus
Se rapprocher des Islamistes et déstabiliser l'armée
Publié dans Liberté le 21 - 09 - 2003

Un mécanisme ad hoc chargé de la question des disparus
D'Amnesty à Samraoui
Le contexte est bien particulier. De la sortie médiatique de Abassi Madani au livre de Samraoui, en passant par la réouverture du dossier des disparus, Bouteflika entame une nouvelle étape dans sa course au fauteuil présidentiel.
À la question d'une mère d'un disparu qui l'interpellait sur le sort de son fils, Abdelaziz Bouteflika eut cette réponse : “Ils ne sont pas dans ma poche !” C'était en 1999, lors de la campagne pour le référendum sur la concorde civile. Quatre ans plus tard et à quelques mois du scrutin présidentiel, Abdelaziz Bouteflika installe un mécanisme ad hoc de prise en charge de la question des disparus. D'un mandat de 18 mois, cette structure, adossée à la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (Cncppdh), est conçue comme un centre de gestion et une interface entre les pouvoirs publics et les familles concernées, a expliqué, hier, le chef de l'Etat dans son allocution d'installation de ce mécanisme. Entre autres missions, cette structure sera chargée de “l'identification des cas d'allégations de disparition, sur la base de l'ensemble des informations déjà recueillies et celles résultant, d'une part, des actions qu'il aura à mener et à faire entreprendre par les autorités compétentes, et de toutes les recherches nécessaires pour localiser les personnes déclarées disparues, d'autre part”, a indiqué Bouteflika, cité par l'agence officielle APS. Par ailleurs, elle aura à informer les familles des disparus des résultats de ses investigations et à indiquer les procédures à suivre pour le règlement des questions juridiques et patrimoniales induites dans les différents cas. Enfin, il est prévu des mesures d'aide et d'indemnisation au profit des ayants droit des personnes disparues. “La création de ce mécanisme s'inscrit en droite ligne du vaste processus de réconciliation nationale et elle traduit la détermination de l'Etat à assumer pleinement ses responsabilités en tant que garant de la sécurité des personnes et des biens et elle constitue une réponse aux sollicitations de milliers de familles éprouvées par la disparition d'êtres chers”, a justifié Abdelaziz Bouteflika dans son discours.
Une initiative tardive
S'il va sans dire que l'initiative est de nature à lever le voile sur un dossier dont le moins que l'on puisse dire est qu'il a empoisonné la vie politique depuis de longues années, il n'en demeure pas moins que le contexte dans lequel intervient l'ouverture d'un dossier aussi sensible appelle forcément des interrogations. Il est, en effet, pour le moins curieux que Bouteflika, interpellé déjà lors de la campagne pour la concorde civile, consente à répondre uniquement aujourd'hui “aux sollicitations des milliers de familles éprouvées par la disparition d'êtres chers”, pour reprendre son expression. Quand bien même il justifie la mise sur place de ce mécanisme par les limites des autres mécanismes installés depuis 1995, le chef de l'Etat omet, cependant, de rappeler qu'il a été interpellé aussi bien par les organisations des droits de l'Homme que par des structures officielles comme la Cncppdh. Son président Farouk Ksentini n'avait pas cessé de rappeler que “la question des disparus relève de la responsabilité de l'Etat”.
Tout comme il avait annoncé le jour même de son installation les priorités de la commission et, en première place, le règlement de l'épineuse question des disparus. Dans le même contexte, faut-il rappeler la manière, pour le moins peu orthodoxe, avec laquelle les autorités “accueillaient” les rassemblements des familles des disparus ? Comme d'autres catégories de la société, on s'est toujours refusé à donner suite à leurs doléances quand, pour toute réponse, on ne recourt pas à la répression.
Un contexte marqué par la libération des chefs
du FIS dissous
Sur un autre registre, il est utile de préciser que l'ouverture de ce dossier intervient au lendemain de l'autorisation de sortie accordée à l'ex-numéro un du parti dissous. Il est pour le moins difficile de ne pas y entrevoir le lien, quand Bouteflika lui-même explique que l'installation du mécanisme s'inscrit dans le prolongement de la réconciliation nationale. Certains soutiennent, par ailleurs, du moins dans les cercles qui lui sont proches, il y a quelques semaines seulement, que le dossier des disparus constituait l'une des cartes jouées par le premier magistrat du pays face à ceux qui lui ont fait “un enfant dans le dos” à travers le rapt des touristes occidentaux. Ces cercles soutiennent en effet que la disparition des touristes n'est que l'œuvre des services de sécurité.
Et curieusement, la nouvelle structure qui vient de voir le jour intervient quelques jours seulement après la sortie, en France, aux éditions Denoël, d'un ouvrage sous-titré Comment les services secrets ont manipulé les groupes islamistes de Mohamed Samraoui, un ancien colonel des Services, aujourd'hui réfugié en Allemagne. À bien des égards, certes confusément, l'ouverture du dossier des disparus dans la conjoncture actuelle paraît comme une nouvelle carte, à quelques mois de la présidentielle, que brandit Bouteflika contre ses détracteurs, notamment l'institution militaire que certains cercles ont toujours tenue responsable de certaines disparitions. Ksentini n'a-t-il pas sous-entendu, hier, que le problème des disparus peut être réglé dans un délai compris entre quatre et cinq mois ? Le “qui tue qui ?” a encore de beaux jours devant lui.
KARIM KEBIR
Les sept membres du comité ad hoc
Le mécanisme ad hoc de prise en charge de la question des disparus est présidé par m. Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (cncppdh). Ce mécanisme comprend également six autres membres. Il s'agit de MM. El Hachemi Bencheikh (magistrat), Ahmed Bayoud (médecin), Sidi Moussa Abdelkrim (ancien membre de l'APN), Abdelkader Boukhroufa (président du Croissant-Rouge algérien), Zehani Zoubir (médecin) et Mme Belloula Nassira.
Ksentini : “Un grand pas…”
Selon maître Ksentini Farouk qui préside la commission ad hoc chargée du dossier des disparus que nous avons joint, hier, par téléphone, ce comité regroupe sept membres dont des médecins, des journalistes et des magistrats. Il est investi du “pouvoir de recherches et est tenu d'informer les familles des disparus des résultats obtenus”. Maître Ksentini nous dira : “S'il s'avère qu'on n'a aucune trace des personnes disparues, des indemnités seront versées aux familles.”
Le président de cette commission ad hoc estime que le mécanisme mis en place par la présidence est “un grand pas en avant, surtout qu'il a été précédé par la reconnaissance de la responsabilité de l'état sur ce sujet”.
Me Farouk Ksentini nous dira : “La commission ad hoc a un délai de 18 mois pour régler ce problème d'aspects humanitaire et juridique”.
M. ACHOURI
Les précisions de Liberté
La direction du quotidien Liberté informe l'opinion publique nationale qu'elle n'a pas été associée ni de près ni de loin à la désignation de Madame Nassira Belloula comme membre de “la commission ad hoc de prise en charge de la question des disparus”, installée samedi 20 septembre 2003, par le chef de l'Etat.
L'appartenance de Madame Belloula à ce comité est une initiative strictement personnelle qui ne saurait en aucun cas engager le journal Liberté.
Une autre arme aux mains du président-candidat
Bouteflika se sert des “disparus”Le président Bouteflika a consommé le plus clair de son mandat à parler, à annoncer et à promettre des réformes et des changements. Sans suite. À l'approche de l'élection présidentielle de 2004, il semble se réveiller à l'action, voire à l'agitation. Normal : il est dans la peau d'un candidat.
C'est à sept mois de la fin de son mandat qu'il réalise la nécessité de se pencher sur “la question des disparus”. Voilà pourtant un dossier qui aurait dû, en toute logique, constituer une de ses priorités puisqu'il dit l'appréhender dans le cadre du “vaste processus de réconciliation nationale”, enclenché dès 1999 par la loi sur la concorde civile.
Pourquoi alors avoir attendu aussi longtemps pour “ouvrir le dossier des disparus” et admettre que, dans cette affaire, “l'Etat a des responsabilités qu'il doit assumer” ? Réponse de M. Bouteflika : “Les pouvoirs publics ont assuré, à ce jour, le traitement de cette question dans les dispositions législatives et réglementaires ordinaires (…) Les différents mécanismes mis successivement en place (…) ont atteint les limites de leur efficacité.” Et de conclure que “le caractère particulier” de ce dossier appelle, “de toute évidence”, une intervention de l'Etat qui doit assumer ses responsabilités. “Plus que jamais”, insiste-t-il. Eloquent, ce “plus que jamais” : si Bouteflika avoue s'être accommodé longtemps d'un traitement “ordinaire” à un problème “particulier”, il avertit qu'il n'en sera pas ainsi désormais.
Et quand il impute la responsabilité des disparitions à l'Etat, l'auditoire et les téléspectateurs savent à qui et à quels “segments” de l'Etat il faut penser.
Et s'il leur fallait une indication suffisamment précise, Bouteflika l'aurait donnée.
Sous forme d'instruction aux membres du mécanisme ad hoc qu'il exhorta à faire valoir leur capacité d'écoute dans leurs relations avec “les autorités publiques concernées par la question”. Les services de sécurité, en l'occurrence. Et donc l'ANP, en général, et les généraux, en particulier.
Pour le candidat Bouteflika, il était sans doute temps que tout soit mis en œuvre pour “complexer”, gêner, inhiber et contrecarrer les “décideurs” dont le soutien ne lui est plus acquis.
Comme il était temps, au mois de mai dernier, de divorcer d'un Premier ministre, Ali Benflis en l'occurrence, dont il louait la fidélité et la loyauté. Jusqu'au jour où le FLN en fit son candidat en puissance. Le limogeage de Benflis n'était, en fait, que le coup d'envoi, le signal d'attaque à une offensive dont le but est d'opérer une mainmise sur l'ex-parti unique, escabeau idéal pour tout prétendant, au nom du régime en place, aux plus hautes fonctions de l'Etat. De même qu'il était temps pour Bouteflika, devenu plus candidat que chef de l'Etat, de taire les critiques de la presse et de mettre un terme aux révélations des journaux qui, décidément, ne pouvaient tomber plus mal.
Dans la foulée, le Président-candidat n'a pas hésité à jeter son dévolu sur le plus islamiste des membres du FLN, Abdelaziz Belkhadem, à qui les généraux avaient auparavant refusé l'accès au poste de Premier ministre. Abassi Madani, lui aussi, allait bénéficier de toute l'attention de M. Bouteflika. Il sera autorisé à quitter le territoire national. Officiellement pour bénéficier de soins intensifs en Malaisie. Mais, pour un vieux en convalescence, il est un peu trop présent à l'écran d'El-Djazira et ses déclarations attestent qu'il n'a rien perdu de sa verve d'antan, ni cédé sur ses desseins. Ses sorties entendues mais surtout celles annoncées ont de quoi satisfaire les attentes conjoncturelles de Abdelaziz Bouteflika. Le chef de l'ex-FIS serait, en effet, décidé à faire une série de témoignages contre les agissements d'officiers de l'ANP durant les années quatre-vingt-dix. Cela coïncide étrangement avec la sortie d'un livre signé d'un ex-colonel de l'ANP, dans lequel il est encore question du même genre de témoignage.
À côté de cette panoplie de manœuvres, distribuer des enveloppes financières mirobolantes sans respect d'une quelconque orthodoxie financière s'avère être une simple opération d'appoint dans le cadre d'une vaste offensive qui ne fait que commencer.
Les six prochains mois révéleront, à coup sûr, un candidat qui agit autant sinon plus que parlait le Président.
Saïd Chekri


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