L'anomalie est criante : des régions entières du pays sont privées de plusieurs spécialités médicales à la fois. En plus de la conversion et des départs à l'étranger, des médecins sont licenciés, d'autres démissionnent. Résultats des courses : c'est toute la couverture sanitaire qui est remise en cause. Une situation qui a trop duré. La note du Premier ministre tombe à point nommé et intervient deux semaines après son annonce, devant les sénateurs : la formation de 10 000 médecins spécialistes durant le quinquennat 2010-2014. Et si Ouyahia a mis en exergue la nécessité de “protéger” cette ressource humaine et de la mettre en valeur, non sans l'interpeller pour être au service du malade, la note envoyée au ministère et aux 48 directions de la Santé vient mettre un terme à un état de fait gravissime : les démissions massives et les licenciements injustifiés en dehors du cadre de la déontologie médicale. En effet, le document d'Ahmed Ouyahia précisera d'ailleurs que ces départs, quelle que soit leur nature, portent préjudice au secteur de la santé en Algérie, et ce, au moment où l'Etat forme à coup de dizaines de milliards de dinars ces médecins spécialistes. C'est qu'en annonçant la prochaine formation de ces milliers de spécialistes, le Premier ministre voudrait rappeler à l'ordre le ministère de tutelle, au même titre que les directeurs de santé des 48 wilayas, de la nécessité de stabiliser ce qui reste comme spécialistes dans les Centres hospitalo-universitaires et autres cliniques qui dispensent des soins multidisciplinaires. Et au Premier ministre d'insister sur le chapitre “moyens” en offrant le minimum pour ces médecins : le logement. Notamment dans le Grand-Sud et les Hauts-Plateaux où le taux de mortalité est visiblement instable contrairement à la donne officielle qui serait de l'ordre de moins 15 % à l'horizon 2015. Et là, ce ne sont guère les exemples qui manquent : Tindouf comptait 28 médecins spécialistes, El-Bayadh 43 spécialistes et Souk-Ahras 61 médecins spécialistes, sachant que ces régions seront renforcées en avril 2011 de 20 médecins spécialistes supplémentaires. Mais le problème est aussi ailleurs ! Pourquoi les pouvoirs publics ouvrent de moins en moins de postes de professeurs et de chefs de service ? Sachant que plus de 10 % de nouveaux médecins se retrouvent au chômage chaque année, pourquoi l'Etat n'exploite pas cette possibilité de fructifier cette masse de diplômés en injectant des quotas dans le service civil avant de leur offrir cette éventualité de bénéficier d'un poste budgétaire digne de ce nom ? Pourquoi encore des spécialistes formés par un Etat se retrouvent du jour au lendemain au service des CHU à l'étranger, où ils exercent des sous-métiers, et autres cliniques privées en Algérie, ou encore dans des laboratoires pharmaceutiques? Il faudra alors repenser la politique de la Santé en Algérie pour pouvoir apporter des réponses aussi claires qu'objectives. C'est que la note d'Ahmed Ouyahia s'inscrit également dans cet esprit d'interpeller les professionnels du secteur sur le plan de l'éthique et de la déontologie médicales. En effet, plus de 5 000 pédiatres, cardiologues, ophtalmologues, gynécologues, anesthésistes et chirurgiens ont quitté le pays pour exercer dans l'Hexagone, sans compter ces autres catégories de spécialistes qui ont immigré ailleurs en Europe, en Amérique, en Afrique et dans le Maghreb. Faut-il accuser alors les médecins ? Ou encore l'Etat ? Surtout que cette catégorie professionnelle, relevant de la Fonction publique, a bénéficié, elle aussi, des récentes augmentations de salaires. Et le comble est également dans le fait de récuser la démarche de l'Etat qui a fait appel aux médecins étrangers, comme les Cubains, pour venir renforcer les enceintes hospitalières algériennes qui accusent un déficit en médecins spécialistes, notamment dans les Hauts-Plateaux. “Tout le monde a raison, mais chacun défend sa cause”, les licenciements abusifs et les démissions massives, une pratique de faire chanter les pouvoirs publics et de prendre en otage les patients, doivent cesser. De l'autre côté, il faut repenser les mutations, la répartition et le déploiement de nos spécialistes, y compris ceux qui, à la limite de leurs vœux, voudraient s'installer à leur compte dans ces régions désertées où, chaque jour, des Algériens meurent dans le silence. Et le mépris.