Chaque fois que je le croisais, il avait le sourire. Celui de l'homme en parfaite santé. De l'homme sans soucis. De l'homme heureux de vivre. De l'homme avec une santé de fer. Un vrai roc que ce rédacteur en chef indéboulonnable qu'aucun événement n'a fait vaciller. J'apprendrai après sa mort qu'il souffrait déjà de la maladie qui devait l'emporter. Et qu'il était sûr qu'il n'allait pas faire de vieux os. Mais il avait le sourire de la politesse. Il ne voulait pas encombrer ses amis avec le récit détaillé de ses malheurs. Cette forme suprême de l'élégance a un nom : courage. Et du courage, il en avait à revendre, l'ami Othmane. Quand Omar Ourtilane tomba sous les balles des terroristes en 1995, c'est Othmane qui occupa le poste de rédacteur en chef en reprenant le flambeau de la liberté d'expression et de la lutte contre les hordes terroristes. Natif de Khemis el Khechna, une zone infestée de terroristes, il savait qu'il risquait sa vie et celle de ses proches à tout instant. Mais il n'en avait cure. Il voyait chaque jour ses frères de sang algérien, ses frères de plume, tomber sous les coups des assassins de la liberté. Alors mourir aujourd'hui ou demain quelle différence pour lui qui avait de naissance la philosophie de l'acceptation du destin quel qu'il soit. Il savait que quand l'heure sonnera, il ne pourra s'échapper nulle part. Et que si elle ne sonnera pas, aucun terroriste ne pourra l'atteindre. Ainsi était Othmane. Mon ami Othmane. Avec ce viatique, il était naturel qu'il défie la mort cent fois. Et cent fois elle n'a pas voulu de lui. Peut-être a-t-elle été sidérée par son courage au point de reculer l'heure ? Depuis César, on sait que dans les batailles, le seul bouclier valable est le courage. Et non l'armure, et non le glaive. Le courage de ne pas fuir. De ne pas reculer. Tout sauf le découragement, ce luxe des enfants gâtés. Othmane le savait. Il savait que s'il baissait les bras, la mort pointerait avec sa faucille plus tôt que prévu. Alors il se battait avec le sourire de l'homme averti, de l'homme lucide qui sait que chaque instant doit être vécu pleinement, car seul l'instant est en notre possession. Rezki Cherif, son compagnon depuis le début de leur aventure commune avec El Khabar, toujours affecté, sanglote : “C'était un homme remarquable. Discret et efficace avec un charisme fou. Mais si je dois faire ressortir une seule qualité, c'est son immense générosité. Les gens comme lui ne courent pas les rues.” Kamel Djouzi, autre compagnon, témoigne que Othmane ne ratait aucune marche funèbre pour accompagner un mort. “Il avait beaucoup de compassion pour les morts et les plus démunis.” Ces mots, on les retrouve partout à El Khabar. Tous les journalistes ont perdu un ami fidèle et loyal qui savait faire preuve d'indulgence et d'empathie — qualités de tout grand rédacteur en chef — quand il leur arrivait de rater un papier. Dans la foule nombreuse qui a accompagné Othmane à sa dernière demeure, il y avait les officiels, les compagnons, les alliés et les amis. Mais il y avait aussi, et ils étaient les plus nombreux, les centaines d'anonymes. À chacun, il a rendu service. Parce que c'était un journaliste de devoir et un homme de cœur, qui est parti sur la pointe des pieds. C'était son style. La mort l'attendait, il est parti à sa rencontre. Mais ses écrits restent. Mais sa trace reste. Et cela, personne ne pourra l'effacer. Pas même la mort qui n'a pris que sa dépouille, car Othmane, le mari, le père, le fils, le frère, le journaliste, l'homme, cet Othmane-là est toujours vivant dans le cœur de ceux qui l'aiment. H. G. [email protected]