Quels enseignements à tirer des émeutes qui ont embrasé l'Algérie la semaine dernière, alors que le feu continue de couver sous la braise ? Alors que la Tunisie voisine, par le sang de sa jeunesse, vient de se “débarrasser” des derniers vestiges des régimes dictatoriaux du siècle passé. Si l'on doit se réjouir pour la victoire du combat démocratique du peuple tunisien, soyons prudents et sachons «raison garder» en évitant de faire des similitudes caricaturales et des amalgames, avec ce qui s'est passé ces dernières semaines en l'Algérie. Les conditions politiques, sociales et économiques des deux pays sont fondamentalement différentes. Bien que la volonté farouche des deux peuples d'arracher leur indépendance puisse être comparable ; la direction respective de leurs mouvements libérateurs historiques n'a pas été de même nature (protectorat pour la Tunisie, colonie de peuplement pour l'Algérie), quand bien même la démocratie, chez nous, demeure otage de la frilosité de certains de nos dirigeants, qui estiment “légitimement faire le bonheur du peuple”. Cela dit, il n'est pas inutile, en dépit de l'indifférence de nos “frères arabes” face aux malheurs que nous avons vécus durant la décennie noire, de méditer et de réfléchir à tout ce qui se déroule à nos frontières. Pour revenir à notre pays, estimés à quelques centaines de millions de dollars les dégâts matériels causés par les récents soulèvements des jeunes, incitent à des questionnements qui dépassent l'aspect matériel, pour se poser en termes politiques, de ce qui semble convenu de qualifier de “lutte de clans pour la succession au pouvoir”. Dans l'intervalle, à défaut de communication des dirigeants politiques sur les solutions de fond (déverrouillage du champ médiatique et des canaux d'expression politique…), des réponses technico-économiques ont été apportées par les pouvoirs publics à ce qui est perçu comme étant la cause du déclenchement de ces émeutes. Ainsi le gouvernement a annoncé une série de mesures visant à l'apaisement du front social et économique. Il s'agit notamment du soutien des prix du sucre et des huiles de table pendant huit mois, et qui nécessitera la mobilisation d'une enveloppe de 300 millions d'euros environ. Selon le ministère du Commerce, “l'intervention immédiate de l'Etat pour faire baisser les prix des stocks du sucre et des huiles alimentaires déjà en circuit, doit coûter environ 3 milliards de DA au Trésor public, alors que les exonérations douanières et fiscales visibles dès la mi-février vont engendrer pour l'Etat un manque à gagner de quelque 23 milliards de DA”. Par ailleurs, le ministre du Commerce a appelé les grossistes à respecter les prix fixés par l'Etat à 90 DA le kilogramme de sucre et à 600 DA le bidon de cinq litres d'huile. En outre, l'exécutif a décidé de la suspension des droits de douane à partir du premier janvier jusqu'au trente et un août de l'année en cours, à l'importation du sucre roux et des matières de base, entrant dans la fabrication des huiles alimentaires. Ces droits de douane sont de 5%. De même qu'il a été décidé la suspension de la TVA de 17% et une exonération de l'IBS pour la même période sur les matières premières entrant dans la fabrication de ces produits de large consommation. Côté opérateurs économiques, le patron du groupe Cevital, dans une conférence de presse, a affirmé que son groupe n'a procédé à aucune augmentation des prix de ces deux produits et s'est dit prêt à apporter sa contribution aux efforts du gouvernement dans la stabilisation du marché. Au-delà du bilan des pertes humaines et des dégâts matériels et financiers, cette “protesta populaire”, bien que condamnable dans ses formes d'expression, à la fois violente, prédatrice et incivique, contre les institutions publiques – dont les établissements de l'éducation et de l'enseignement, lieux symboliques du savoir, de la connaissance, de la culture et de la tolérance – et les biens privés n'en n'est pas moins nourrie par des causes profondes, d'injustice et d'inégalité économiques et sociales, fortement exacerbées par l'impunité dont semblent bénéficier les véritables auteurs des détournements de deniers publics. Sommes-nous en présence d'une partition musicale qui se joue dans un climat délétère marqué par la démission des institutions et de la classe politique dans son immense composante ? Un tel questionnement est d'autant plus légitime que ces événements – bien que la scène politique et sociale ait été émaillée ces dernières années par d'autres protestations plus ou moins confinées à quelques rares régions du pays, à l'occasion notamment de la distribution de logements –, surviennent, – est-ce le fait du hasard ? – concomitamment avec l'éclatement de la crise qui secoue le parti majoritaire de la coalition présidentielle. L'on ne peut, également, faire l'impasse de la possible relation entre l'irruption de ces émeutes et les mesures de protection de l'économie nationale et de la lutte contre le capital spéculatif et la dérégulation du marché national des biens de large consommation, prises dans le cadre des lois de finances complémentaires 2009-2010. En vérité, nous entrons dans une phase aiguë des luttes implacables entre les forces de la spéculation qui veulent imposer leur “diktat” à toute la société et celles du capital productif patriotique, privé et public, qui préconisent la construction d'une économie productrice de richesses, basée sur la “valeur travail”. La restauration des fonctions régaliennes de l'Etat doit continuer sans concessions à l'égard de ceux qui se jouent de l'intérêt national, en exploitant la misère d'une jeunesse désemparée, marginalisée et laissée pour compte. Si le pouvoir politique s'entête à ne pas décrypter la nature réelle de ces agitations sociales, politiques et économiques qui traversent le corps social algérien, et à ne pas apporter des réponses adéquates aux nouvelles exigences sociales et démocratiques, il risque de mener le pays à l'impasse et à l'irréparable fracture entre lui et la majorité du peuple.