L'empereur déchu a organisé une fuite de capitaux inédite dans l'histoire de la criminalité financière algérienne. Le scandale Khalifa se déroule tel un feuilleton mexicain aux infinis épisodes. Nouvelle partie : Abdelmoumène a usé, entre autres, de trois types de combines pour transférer illicitement des capitaux vers l'étranger, nous confie une source bancaire sûre. Premier type de combine : le groupe Khalifa a introduit un dossier pour l'acquisition d'unités de dessalement d'eau de mer que Abdelmoumène affirmait vouloir offrir gracieusement à l'Etat algérien, en vue de contribuer à résorber la pénurie d'eau. Il a déposé des dinars, précisément, 720 millions de dinars, sur la base d'un dossier de transfert. La Banque centrale a mis à sa disposition les devises, l'équivalent de 80 millions de dollars qui correspondent à un ordre de paiement à la banque du fournisseur de Khalifa. Dans une économie de marché, la banque des banques n'est pas très regardante sur l'utilisation de l'argent, l'essentiel étant de déposer la somme de dinars équivalente au coût en devises de la transaction. C'est à d'autres structures de contrôler a posteriori la régularité de l'opération. On n'est plus dans une économie dirigée où tout est suspecté. On sait aujourd'hui que les unités de dessalement, 3 à 4, prévues à Zemmouri, d'une capacité de 40 000 m3/jour, n'ont jamais fonctionné. C'était de la vieille quincaillerie. “Khalifa a fait venir des Philippins pour faire marcher les usines de dessalement d'eau de mer, sans succès”, avait indiqué M. Attar, alors ministre des Ressources en eau. L'astuce consiste à jouer sur la différence de prix entre une vieille et une nouvelle installation. Le différentiel est transféré à l'étranger. Second type de combine : Khalifa surfacturait les paiements leasing avions de la flotte de Khalifa Airways. Par exemple, un versement en principe au titre du loyer des appareils, de 10 millions de dollars était facturé à 20 millions de dollars. Là, également, la différence est transférée. C'est ce qu'on appelle la fuite illégale de capitaux. Comme les versements ou échéances se multiplient au fur et à mesure qu'on avance dans le temps, cela fait de gros paquets alimentant les comptes off-shore de Khalifa à l'étranger. En termes triviaux, le leasing est une forme de location, notamment d'équipements, ici les avions. Celui qui les acquiert doit verser des sortes de loyers, ou échéances périodiques, disons semestrielles sur une durée déterminée, par exemple sept ans. À l'issue de cette période, l'équipement peut devenir sa propriété. Khalifa avait acquis la quasi-totalité de sa flotte en leasing, rappele-t-on. Troisième combine : Khalifa introduit les dossiers de la clientèle pour régler les fournisseurs. Il transfère l'argent sur ses comptes. Mais ne règle pas les fournisseurs. Par ailleurs, Abdelmoumène, pour protéger ses affaires, hébergeait gratis de hauts responsables, à l'hôtel Marriott à Paris, lorsqu'ils étaient de passage dans la capitale française. Conclusion : ce sont des transferts illicites de capitaux à large échelle. “Cela a été rendu possible, parce qu'il y avait des dépôts (énormes) en dinars, dont une bonne partie versée par des entreprises publiques. Abdelmoumène s'en est bien servi pour ses combines. Il n'y aura finalement pas de sanctions tout simplement parce que ces responsables de sociétés d'Etat ont obéi à des injonctions politiques”, souligne source bancaire. N. R. Les leçons d'un scandale financier Voici les prescriptions pour ne pas retomber dans un nouveau scandale genre Khalifa : “Il ne faut pas autoriser les banques qui appartiennent à des groupes à utiliser l'argent des déposants pour leur expansion. Car il y a une tendance à confondre la banque avec la direction du groupe et donc à utiliser les dépôts au bénéfice quasi exclusif du groupe. Les dirigeants de groupes oublient que l'argent des déposants ne leur appartient pas. La nouvelle loi monnaie et crédit protège les déposants. Mais il ne suffit pas de faire une loi en Algérie. Si on avait fait respecter les ratios prudentiels qui existaient, on aurait évité de tels scandales. Par ailleurs, les systèmes d'information des banques disposent de données en décalage. Si on avait un système d'information fiable, le scandale BCIA aurait été découvert bien avant. Il faut donc un contrôle de l'application de la loi et des ratios prudentiels des banques. Il ne suffit pas de faire une loi. Il faut des instruments de suivi de l'application de la loi. Dans l'affaire Khalifa, la Banque centrale a fait du bon boulot. Elle manque de moyens. Il faut la renforcer en moyens matériels et humains”, suggère la même source bancaire. N. R.