La chambre d'accusation près la cour de Blida a entamé hier l'examen d'une partie de l'affaire Khalifa, liée à la gestion de la caisse principale. Il est question de revoir tout le dossier de l'instruction pour requalifier ou confirmer les chefs d'inculpation retenus par le juge du tribunal de Chéraga contre 124 personnes, dont 5 sont actuellement en détention provisoire. Etant donné le nombre important des mis en cause, l'examen risque de durer plusieurs jours, voire au moins deux semaines, selon les avocats, qui ont demandé lors de la première audience, programmée le 12 juin, un report d'une semaine pour mieux préparer leurs instruments de défense. Hier, le journal Echourouq a publié les résultats de l'instruction de ce volet important du plus grand scandale financier que le pays ait connu. Les révélations sont édifiantes et permettent de lever le voile sur une grande escroquerie aux responsabilités partagées. Parmi les personnes inculpées, le directeur général adjoint d'El Khalifa Bank, en fuite à l'étranger, un conseiller de Abdelmoumen, en fuite à l'étranger, le directeur général adjoint chargé de la caisse principale (incarcéré pour une autre affaire), le secrétaire de la caisse principale (sous contrôle judiciaire), le directeur général adjoint chargé de la sécurité (sous contrôle judiciaire), ainsi que 64 autres personnes ayant occupé divers postes de responsabilité au sein du groupe et ailleurs sans aucune mission particulière, alors que 41 autres ont bénéficié de la liberté provisoire. Trois mandats d'arrêt internationaux et un autre national ont été diffusés à l'encontre de quatre responsables du groupe, alors que quatre autres, le directeur de l'école nationale de police de Aïn Bénian, le directeur des finances à Khalifa Airways et les directeurs des agences d'El Khalifa Bank d'Oran, de Chéraga (détenu pour une autre affaire) et des Abattoirs qui est également représentant de la banque à Paris. L'instruction est revenue sur les conditions de la création de la banque par Abdelmoumen Khalifa, le 25 mars 1998, avec un capital social de 500 millions de dinars, selon le statut de cette Sarl, qui a précisé que les actionnaires ont libéré 125 millions de dinars. Le 27 juillet 1998, le gouverneur de la Banque d'Algérie, Abdelwahab Keramane, a signé l'agrément pour El Khalifa Banque, dont le PDG était Ali Kaci. Le 28 septembre 1998, Abdelmoumen a revu le statut de sa banque en introduisant un changement au niveau du conseil d'administration, mais aussi la répartition des actions, sans aucune autorisation de la Banque d'Algérie, tel que le prévoit la réglementation bancaire. Il a par la suite élargi les activités de la banque en ouvrant des agences à travers le pays et en créant dix autres sociétés : l'Eurl Khalifa Airways, créée le 1er juin 1999 avec un capital de 500 millions de dinars, l'Eurl Khalifa Informatique créée le 13 juin 2000, avec un capital de 100 millions de dinars (dont 50 % appartiennent à la banque et 50 % à Khalifa Airways). Une répartition qui a également concerné d'autres filières telles que Khalifa Prévention, créée le 13 juin 2000 avec un capital de 100 millions de dinars, Khalifa Catering, créée le 1er octobre 2000 avec un capital de 100 millions de dinars, Khalifa Rentcar, créée le 2 janvier 2001 avec un capital de 100 millions de dinars, Khalifa Confection, créée le 26 juin 2001 avec un capital de 100 millions de dinars, Khalifa Edition, créée 16 août 2001 avec un capital de 100 millions de dinars, Khalifa Construction, créée le 25 décembre 2001 avec un capital de 100 millions de dinars, Khalifa Médicament, créée le 15 juillet 2002 avec un capital de 5 millions de dinars et Khalifa Santé, créée le 15 juillet 2002 avec un capital de 5 millions de dinars. L'instruction a révélé que la Banque d'Algérie a procédé à plusieurs opérations de contrôle de la banque privée. La première a eu lieu entre janvier et février 2000, suivie d'un autre contrôle du 11 juin au 13 juillet 2000, puis ceux du 16 janvier, du 19 mai et du 10 octobre 2001 et enfin l'inspection du 22 septembre au 19 décembre 2002, sans compter celle des transferts de fonds de et vers l'étranger durant la période comprise entre le 3 novembre et le 18 décembre 2002. « Etant donné les violations, la Banque d'Algérie a pris des mesures successives contre la banque Khalifa, à commencer par le gel du commerce extérieur le 27 novembre 2002, alors que l'équipe d'inspecteurs a procédé au contrôle de la caisse principale le 15 mars 2003... » Cette mission a révélé de graves anomalies dans la gestion de cette caisse marquée par l'absence de documents d'entrée et de sortie des fonds, l'inexistence de registres des mouvements des capitaux entre les différentes agences et enfin l'absence de mesures administratives à l'encontre des responsables du trou financier de la caisse principale estimé à 22 milliards de dinars (soit 2200 milliards de centimes) et des centaines de milliards en devises. Pour les deux agences d'El Harrach et des Abattoirs, le trou financier a été estimé par les experts à 460 et 490 milliards de dinars. Le découvert ayant touché l'ensemble des agences a été estimé à 1092 milliards de centimes. Le directeur général adjoint chargé de la caisse principale a expliqué devant le juge que ce découvert a été causé par le fait qu'il remettait, depuis son installation en 1998, des sommes colossales en liquide à Abdelmoumen Khalifa. Le directeur de l'agence d'Oran a, de son côté, expliqué qu'à son début en 1999, il ne faisait que transmettre l'excédent de fonds à la caisse principale en les convoyant par avion jusqu'à février 2000, lorsqu'il avait commencé à recevoir les ordres de Abdelmoumen Khalifa pour les remettre à des personnes qu'ils envoyait. Le directeur de l'agence des Abattoirs d'Alger (également représentant d'El Khalifa Bank à Paris) a lui aussi révélé qu'il donnait des sommes importantes d'argent de la banque à des personnes sur ordre de Abdelmoumen Khalifa. Les mêmes propos sont tenus par le directeur de l'agence de Koléa et celui d'El Harrach. Ce dernier a précisé toutefois que les montants remis varient entre 100 et 200 millions de dinars et entre 5000 et 100 000 euros. Le directeur de l'équipage de Khalifa Airways a pour sa part reconnu devant le juge avoir bénéficié en 2001 d'un crédit 2,5 millions de dinars, encaissé à l'agence d'El Harrach, sans qu'il le rembourse. Histoire des gros dépositaires Chargé du convoyage de fonds et de leur sécurité, un ancien inspecteur de police a reconnu avoir pris en 2002 une importante somme d'argent, dans un sachet noir, de l'agence El Harrach, qu'il a remise à Abdelmoumen Khalifa. Il a déclaré posséder deux villas, l'une à Chéraga, l'autre au village des artistes à Zéralda. Le directeur général de Digromed a, de son côté, révélé au juge avoir déposé 325 millions de dinars à El Khalifa Bank, ce qui lui a valu la connaissance de Abdelmoumen, avec lequel il signé deux conventions. La première à titre de PDG de Digromed pour faire bénéficier les employés du groupe des services médicaux et la seconde à titre personnel, pour assurer la formation de certains cadres de Khalifa pour la somme de 1,4 million de dinars. La secrétaire particulière de Abdelmoumen Khalifa a révélé devant le juge que plusieurs personnalités et des cadres de l'Etat se bousculaient devant le bureau de son patron. Le directeur de l'aviation civile au ministère des Transports (témoin) a reconnu avoir bénéficié de titre de transport aérien gratuit, tout comme sa fille a bénéficié d'une prise en charge pour ses études en anglais à Oxford. Le directeur régional de l'aviation civile et de la météorologie au ministère des Transports (témoin) a également avoué avoir bénéficié de voyages gratuits et aussi de la prise en charge de l'équipement de sa maison en produits électroménagers à hauteur de 130 000 DA. Le juge a également entendu un officier des forces navales qui a des liens de parenté avec Abdelmoumen, lequel a affirmé avoir bénéficié d'un crédit d'un montant de 4,50 millions de dinars, sans qu'il soit détenteur d'un compte auprès de la banque. L'instruction a révélé qu'El Khalifa Bank a été financée surtout par les fonds déposés par les sociétés publiques dans ses caisses, en contrepartie de privilèges accordés aux responsables de ces entreprises. Moumen a chargé le directeur de l'agence Khalifa de Blida de convaincre les patrons des sociétés publiques de confier leur argent à El Khalifa Bank. A cet effet, le directeur a remis une commission de 5 millions de dinars au directeur général par intérim de l'OPGI de Constantine, après le renouvellement de la convention de dépôt d'une somme de 800 millions de dinars. Il a également fait bénéficier le directeur de cette même institution et son ancien DG, ainsi que l'actuel directeur général de l'AADL de titres de voyages gratuits à bord de Khalifa Airways. De même qu'il a remis la somme de 87 millions de dinars à l'ancien PDG de l'EPLF de Blida, sous le couvert d'une convention de crédit avec un taux jugé excessivement bas. Interrogé par le juge, un membre du conseil d'administration de l'OPGI de Bir Mourad Raïs a reconnu avoir bénéficié d'un crédit de 224 millions de dinars auprès d'El Khalifa Bank, du fait que Moumen était son ami d'enfance. Après l'avoir dépensé, il a demandé un deuxième crédit, accordé par Moumen, qui l'a orienté vers l'agence des Abattoirs d'où il a reconnu avoir bénéficié d'une somme de 5 millions de dinars, qu'il a remboursée après. Dans son énoncé, le juge a noté que Abdelmoumen noyait les responsables de titres de billets d'avion gratuits, d'argent, de cartes de paiement en devise, de véhicules et d'autres cadeaux en contrepartie du dépôt de l'argent des sociétés publiques dans sa banque. Il en est ainsi pour le directeur de l'agence d'Oum El Bouaghi de la caisse des retraites, des anciens directeurs généraux de la Cnass et de la Casnos. Il a même créé un club des gros dépositaires pour faire bénéficier ces derniers de prise en charge totale au centre de thalassothérapie à hauteur de 120 000 DA par an et par personne. Entendu en tant que témoin, le directeur général de l'entreprise nationale des service pipe a déclaré que sa société a déposé 500 millions de dinars dans l'agence Khalifa de Hassi Messaoud, le directeur général de Sonelgaz a reconnu que la société a confié 200 millions de dinars à la banque privée du temps de l'ancien PDG, le directeur général de l'Algérienne des eaux a affirmé avoir déposé 570 millions millions de dinars, le directeur des affaires juridiques de la bourse d'Alger a déclaré avoir remis 480 millions de dinars à l'époque où Sid Ali Boukrami était PDG. Selon l'instruction, la Cnass a déposé un milliard de dinars, l'agence de celle-ci à Chlef a perdu 44 millions de dinars, la caisse des retraites 4 milliards de dinars, son agence d'Oum El Bouaghi 2 millions de dinars, le Fonds national de péréquation des œuvres sociales 14,51 milliards de dinars, la Cnac 1,8 milliard de dinars, la Casnos 12,6 milliards de dinars, la Caisse de garantie des risques des petits crédits 1,32 milliard de dinars, la Caisse régionale de la coopération agricole 5 millions de dinars, les OPGI à l'échelle nationale 22,27 milliards de dinars. D'autres institutions publiques ont également déposé des sommes colossales dans les caisses de Khalifa, sans pouvoir les récupérer par la suite. L'instruction a fait état de nombreux noms ayant bénéficié des largesses de Abdelmoumen. Elle a cité le cas d'un ancien ministre, frère de l'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, qui occupait le poste de représentant de Sonatrach en Italie, inculpé pour corruption et abus d'autorité. Selon le juge, l'enquête a révélé que cet ancien responsable a bénéficié d'une somme de 32 000 euros, transférés à son compte personnel en Suisse, sans aucune justification et que sa fille aurait aussi encaissé un million de francs français de la part de Khalifa Airways, sans que la Banque d'Algérie réagisse, tout comme elle n'a pas réagi lorsque Abdelmoumen a changé les statuts de sa banque sans autorisation. Le juge a cité aussi le cas du président du conseil d'administration de la Caisse des retraites qui a personnellement déposé 12 milliards de dinars dans les comptes d'El Khalifa Bank, sans l'avis des autres membres du conseil. Il a aussi fait état du cas du PDG de Saidal, qui a bénéficié d'un véhicule touristique en contrepartie de la signature de la convention de partenariat avec Khalifa Médicament, le DG de l'usine de production de bière d'Oran, qui a déposé une somme de 3,10 milliards de dinars chez El Khalifa Bank, avant qu'il ne bénéficie de commissions d'un montant de 1,90 million de dinars. Le directeur de la commercialisation de cette même usine a, selon l'instruction, bénéficié d'une commission de 100 000 DA et le directeur de la Société nationale de transformation des produits, qui a déposé 100 millions de dinars, a bénéficié d'une commission de 100 000 DA. Le monde sportif ébranlé Devant le juge, Mohamed Raouraoua, ancien président de la Fédération algérienne de football (FAF), a déclaré que la convention entre son organisation et Abdelmoumen Khalifa a été signée par son prédécesseur, Omar Kezzal. Moumen s'est engagé à prendre en charge le déplacement aérien à l'intérieur et à l'extérieur du pays ainsi que les matchs amicaux entre l'équipe nationale et les équipes étrangères. Il a également mis à la disposition des clubs un grand bus et le paiement des salaires des entraîneurs. Raouraoua a reconnu avoir reconduit la convention qui a permis la mise à disposition de la FAF de sept véhicules touristiques (restitués au liquidateur), bénéficié d'un voyage à titre gracieux avec le président de la FIFA, Joseph S. Blatter, en direction de Bamako, et un autre à destination de Paris. Le président de l'équipe de football de l'USMA, Saïd Allik (témoin), a déclaré à propos du financement de son club avoir reçu 7 millions de dinars en l'an 2000, 450 millions de dinars en 2001 et 410 millions de dinars en 2002. Le président du RC Kouba a révélé que son club a bénéficié de 140 millions de dinars en 2001 et de 1,74 million de dinars en 2002. Le président du Paradou AC a affirmé avoir reçu 1,5 million de dinars en 2000. L'énoncé du juge fait état de dépenses importantes de la banque de Moumen pour financer le monde sportif à travers des dépenses souvent fictives pour la prise en charge des clubs à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Ighil Meziane, ancien entraîneur de l'équipe nationale, a convaincu le DG de l'OPGI d'Oran, celui de l'OPGI de Aïn Temouchent, le directeur de l'agence foncière de la daïra de Aïn Temouchent, le directeur général du centre des études et de réalisation de l'urbanisme de Aïn Temouchent, le DG de l'OPGI de Relizane de déposer les fonds de leurs entreprises chez El Khalifa Bank en contrepartie de la gratuité des voyages à bord des vols de Khalifa Airways.