Les entreprises, les agences de service et les grandes surfaces qui se respectent se sont équipées de matériels de contrôle et de détection. Et c'est le meilleur moyen de se protéger de la fausse monnaie. Y. Mohamed, étudiant, raconte sa première mésaventure avec les faux billets. Il se présenta avec un billet de 1 000 DA qu'il croyait normal, sans se douter de rien, chez la caissière d'un grand magasin pour des achats lorsque celle-ci l'avertit que son billet était refusé par la machine de détection. Il ne dut son salut qu'à la complicité de la jeune dame qui lui rendit son billet en ne voulant pas l'entraîner dans une longue procédure d'enquête en vue de déterminer son origine et remonter la filière en vue de débusquer les auteurs. Ces cas sont maintenant fréquents, nous explique un grand industriel. “Il y a bien longtemps que je me suis doté d'un appareil de détection perfectionné. Très fréquemment, il détecte des billets isolés infiltrés dans de grosses sommes. Mais il ne nous est pas arrivé de tomber sur de grandes sommes. Pour la simple raison, peut-être, que les trafiquants connaissent bien leur cible. Ils savent où ils peuvent recycler leurs faux billets”, nous dit-il . Aujourd'hui les entreprises, les agences de service et les grandes surfaces qui se respectent se sont équipés de matériel de contrôle et de détection. Le contrôle dans les banques et les services de la poste existe depuis longtemps. C'est le meilleur moyen de se protéger de la fausse monnaie dont la psychose a gagné aussi bien les opérateurs que les citoyens, nous dit pour sa part Chami Ramdane, président de la Chambre de commerce et d'industrie de la Mitidja. “La protection contre la fausse monnaie, indique-t-il, fait partie de notre programme de travail de la Chambre en menant une campagne de sensibilisation en direction des opérateurs pour qu'ils se dotent de moyens de contrôle. Ceci a eu des résultats concluants dans la bataille contre l'infiltration de la fausse monnaie”. Questionné sur la qualité de ces appareils, le président de la chambre se dit confiant car ils sont capables de détecter les faux billets avec une haute précision. Toutefois la suspicion demeure du côté des marchés et des transactions informelles par où transitent de grands mouvements de capitaux incontrôlés, mais qui doivent un jour où l'autre passer par un appareil de contrôle. Un autre grand opérateur dont le chiffre d'affaires est très important grâce au volume d'échanges quotidiens et qui travaille justement en grande partie avec des représentants de l'informel, impose à ses clients d'aller déposer leur argent à sa banque avant de leur livrer la marchandise. “C'est pour moi une double mesure de sécurité”, nous dit-il. “Cela permettra contrôler le flux et de se prémunir contre la fausse monnaie dans la mesure où le contrôle à la banque est plus rigoureux”. Le problème de la fausse monnaie chez nous a pris, en effet, ces deux dernières années une ampleur qui inquiète les pouvoirs publics et provoque des craintes chez les opérateurs et même les citoyens, On est passé des cas de faux billets des bandes isolées à un véritable trafic aux ramifications étrangères, autrement plus outillées et agissant en professionnels engageant des sommes colossales, constatent des enquêteurs et des experts. De grosses prises de trafics de fausse monnaie sont signalées dans différentes régions du pays. Ce trafic concerne aussi bien la fausse monnaie des devises étrangères en dollars et en euros principalement que du dinar, imprimé frauduleusement à l'extérieur et introduit par des canaux détournés. Dans les services de lutte contre la fraude au niveau des groupements de la Gendarmerie et des services de police, la même détermination est affichée. Une attention particulière est accordée à ce volet pour surveiller, détecter, identifier et mettre la main sur les trafiquants de fausse monnaie. à Blida par exemple, les bilans semestriels et annuels dressés par les deux corps mettent l'accent sur le nombre de traitement des affaires liés au trafic et à la fabrication de la fausse monnaie. “Il n'y a pas jusqu'à présent de grosses prises, mais nous traquons les trafiquants y compris lorsqu'il s'agit de petits réseaux”, nous ont dit des officiers des services de communication, en faisant preuve d'esprit d'ouverture à ce sujet, pour indiquer que tout est mobilisé à leur niveau pour éradiquer ce phénomène destructeur de l'économie. En devises, l'une des plus grandes prises réalisées est celle de Mostaganem avec 40 millions d'euros en faux billets, soit l'équivalent de la somme colossale de 500 milliards de centimes. En dinars, il y a la dernière découverte à Annaba d'un conteneur de 36 millions de dinars en faux billets de 1 000 dinars, en provenance de Chine mais indétectables même au contrôle des appareils les plus sophistiqués. Il suffit qu'il échappe au contrôle des douanes et des services de sécurité pour que l'argent arrive facilement à se recycler dans le réseau de l'informel. Toutes les régions du pays sont concernées par ce fléau qui risque, avertissent des experts, de mettre en danger la confiance en la monnaie nationale et partant la stabilité de l'économie en entraînant son effondrement, si rien n'est fait pour stopper ces attaques en règle. Ce n'est un secret pour personne que les trafiquants agissent ouvertement dans les grandes places pour faire pénétrer les faux billets en Algérie. Ces derniers sont proposés à des prix choc de l'ordre de trois à quatre fois moins le prix réel du dinar avec des assurances qu'ils sont indétectables, de quoi s'acheter des complicités parmi nos nationaux, malheureusement recrutés parmi les spéculateurs et les importateurs véreux. Pour le dinar, qui fait l'objet d'attaques de réseaux mafieux, plusieurs pistes ont été relevées: les réseaux de Lyon et de Marseille en France, de Naples en Italie, de Dubaï et de Chine. Un pays idéal pour les trafiquants C'est de là que partent les attaques en règle vers l'Algérie, pays considéré comme propice au foisonnement de la fausse monnaie du fait de la nature de son économie et de sa finance. C'est une cible idéale pour les gros réseaux de trafic. C'est un pays rentier solvable avec des réserves de devises importantes, estimées à plus de 15O milliards de centimes. Il se relève d'une longue période d'instabilité sécuritaire et donc n'est pas préparé à ce genre de guerre et de lutte contre les crimes économiques. Il y a l'existence d'un secteur informel aussi important que le secteur légal, contrôlant près de la moitié des transactions commerciales et financières. De plus, ce dernier a des relations solides avec les circuits de l'importation, donc très perméables aux agissements des trafiquants de fausse monnaie au pouvoir de corruption très influent et fort. De plus, les trafiquants connaissent toutes nos faiblesses en tentant d'accompagner des opérateurs étrangers ayant décroché des marchés chez nous pour blanchir leur argent en douceur. Les infiltrations sont presque quasi quotidiennes. Aucune région du pays n'est épargnée par ce trafic. Nos services de sécurité n'ont jamais été aussi actifs que ces deux dernières années avec des prises parfois spectaculaires qui informent sur l'intensité et la pertinence des attaques provenant de ces réseaux. Tout le monde s'accorde à dire que le phénomène est bien réel et prend de l'ampleur, la pression et la psychose aussi, les dégâts sont importants et les répercussions sur notre train de vie sont vivement ressenties et sont même derrière les dernières émeutes. Les experts s'en mêlent Si nos différents services de sécurité font ce qu'ils peuvent pour barrer la route aux agissements des trafiquants de fausse monnaie, qu'elle soit de fabrication locale ou d'importation, force est de constater que les autres services, concernés directement par le problème, tardent à dégager une véritable stratégie d'attaque pour protéger notre monnaie, jamais aussi visée que maintenant. Certes, des démarches de contrôle par la modernisation et le renforcement des moyens de détection ont été prises, mais l'état de gravité demande plus. Des experts comme les professeurs Mebtoul et Goumiri attirent l'attention des pouvoirs publics sur l'ampleur du phénomène et les dangers qu'il représente pour notre économie et notre monnaie en recommandant non pas des mesures urgentes, mais des plans d'attaque engageant de gros moyens. Dans cette perspective, ils proposent même le changement des billets de banque de 1 000 DA et un plan de modernisation de notre politique monétaire et financière qui demeure archaïque et en dehors des grandes mutations. La preuve, nos banques sont incapables de généraliser l'utilisation des chèques et nos dirigeants de pacifier les circuits informels. à grandes attaques en règle, il faut opposer des stratégies en règle et non pas continuer à bricoler ou tourner le dos. Cela devient urgent, notre cher dinar malmené par les escrocs de tout bord nous interpelle.