Il est des signaux à la symbolique très forte, parce que symptomatiques de la chute inévitable et probablement imminente du doyen des dictateurs arabes, le colonel Kadhafi, que d'aucuns pensaient inamovible avant que la tempête ne s'abatte sur son régime. La même tempête qui a emporté Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte. Il en est ainsi de la démission, depuis Le Caire, de l'envoyé spécial du dictateur censé plaider la cause du guide auprès des autorités égyptiennes. Certes, on n'en est pas à la première défection d'officiels importants depuis le début du soulèvement populaire. Des militaires de haut rang et des unités entières de l'armée, des structures de police, de nombreux diplomates et même des ministres ont déjà lâché le tyran. Mais la démission de son émissaire spécial au Caire a ceci de particulier : elle intervient à un moment crucial. Aussi peut-on légitimement conclure que si Kadhafi a chargé cet homme d'une mission aussi importante dans un moment aussi particulier, c'est qu'il avait une confiance absolue en lui. C'est la preuve irréfutable que les rats quittent le navire et qu'il commence à être abandonné même par les plus fidèles. Un autre signe tout aussi significatif de l'affaiblissement du dictateur et de la panique qui s'est emparée de lui, cette deuxième intervention, en moins de 48 heures, à la télévision. Une intervention où il a resservi — par téléphone ! — le même discours, les mêmes incongruités et les mêmes menaces, mais avec moins d'assurance et plus d'hésitation. Pourquoi a-t-il usé du téléphone alors que la télévision est toujours sous son contrôle ? Là aussi, on peut penser qu'il a peur de se déplacer ou de faire repérer son lieu de retraite si la télévision se venait elle-même. Le fait est qu'il est de plus en plus isolé, ne contrôlant plus que Tripoli autour de laquelle sont déployées les six unités militaires d'élite sous le commandement de ses rejetons. Selon certaines informations difficiles à vérifier, il se serait retiré dans un bunker à l'intérieur d'une caserne de la ville. Exception faite de la capitale et des environs immédiats, le reste du pays est aux mains des insurgés, même si des milices fidèles à Kadhafi et des mercenaires recrutés pour la circonstance continuent d'y semer la mort, comme ce fut le cas à Zawiya, à 60 km de Tripoli, où près de trente morts ont été enregistrés jeudi, suite à une offensive meurtrière. Au plan international, les choses ne vont guère mieux pour le fantasque chef libyen. Le téléphone n'a pas arrêté jeudi et vendredi entre Londres, Paris et Washington en vue de coordonner leurs actions et mettre encore plus de pression sur lui. Ainsi, Sarkozy et Cameron proposent au Conseil de sécurité de l'ONU un projet de résolution sur la Libye prévoyant “un embargo total sur les armes”, “des sanctions”, et une “saisine de la CPI (Cour pénale internationale pour crime contre l'humanité”. De son côté, le secrétaire général de l'Otan, Rasmussen, a appelé à une réunion d'urgence des alliés sur la Libye. “L'Otan peut agir pour faciliter et coordonner toute action des Etats membres, si et quand ils décident d'agir”, a-t-il précisé. L'Union européenne ne veut pas être en reste, puisque Catherine Ashton a annoncé que “des mesures” seront vite prises “pour sortir la Libye de la violence”. De même, alors que le commissariat des Nations unies a estimé que la répression a fait peut-être plusieurs milliers de morts et de blessés en Libye, le Conseil des droits de l'Homme s'est réuni en session spéciale pour étudier une résolution qui condamne “les violations majeures et systématiques” commises dans le pays et décider de sa suspension de l'organisation. De plus en plus lâché par les siens, son espace vital et sa marge de manœuvre se réduisant chaque jour davantage, désormais mis sous pression par l'Occident, la chute de Mouammar Al Kadhafi semble imminente.