La liste des personnalités et autres formations politiques, non convaincues de la pertinence de la démarche, qui ont décidé de décliner l'invitation de la commission de consultations sur les réformes politiques dirigée par Abdelkader Bensalah, s'étoffe. Dernier en date à opposer une “cordiale” fin de non-recevoir à l'invitation est l'ancien Chef du gouvernement, Mokdad Sifi. Dans une longue lettre adressée au président de la commission dont Liberté a reçu une copie, Mokdad Sifi égrène un chapelet d'arguments qui ne sont pas de nature, à ses yeux, à conférer de la crédibilité à la démarche du pouvoir. “Pour ma part, je pense que la crise que nous vivons aujourd'hui est précisément due au non-respect de la Constitution et des textes qui en découlent et au fait que des centres de pouvoir se placent délibérément au-dessus des lois”, écrit-il d'emblée. Il convient de relever que Mokdad Sifi parle “des centres” de pouvoir. Il ne s'agit donc pas, selon lui, d'un problème de textes autant que de leur respect. “Faut-il faire une autre Constitution pour la violer de nouveau ?” s'interroge-t-il. Et la liste des reproches au pouvoir est longue : la Constitution est “violée dans ses fondements et dans tous les domaines”, le système électoral pèche, “systématiquement et publiquement par la fraude avérée” des élections, la loi sur les partis politiques autorise la création des partis que le pouvoir “bloque illégalement” depuis plus de 12 ans, la Constitution fait de la femme l'égale de l'homme alors que le code de la famille, “anticonstitutionnel, bride la femme jusque dans son intégrité morale”, le système associatif “ligoté”, que le pouvoir gère par “la corruption et la répression”, le code de wilaya qui donne des prérogatives “exorbitantes” aux walis, la liberté d'expression est “brimée et réprimée”, les médias publics et notamment lourds sont “illégalement monopolisés par le pouvoir à son profit exclusif et demeurent fermés à toute opinion différente”, les partis et les personnalités opposés au régime sont “depuis 12 ans empêchés de faire entendre leur voix”, tandis que sur les plans économique et social “déjà caractérisés par l'absence flagrante de stratégie et de visibilité”, les lois qui ne sont pas appliquées et celles qui sont “violées sont légion”, y compris les lois de finances. “C'est dire que le problème du pays n'est donc pas d'ordre juridique, mais d'essence politique. Il découle de la volonté délibérée et déclarée du pouvoir, illégitime d'ailleurs, de se situer au-dessus de la loi, allant à contre-courant des aspirations légitimes du peuple et notamment de la jeunesse, y compris universitaire, abandonnée, brimée, désemparée, sans projet, sans perspectives, sans possibilité de recours et poussée, ainsi, à tous les extrémismes, comme la harga, la drogue, la criminalité et autres délinquances et violences, à l'immolation et autres suicides”, écrit l'ancien Chef du gouvernement. “En réduisant la solution de cette crise majeure à de simples réformes juridiques, le pouvoir algérien, par cécité politique et culturelle, incompétence et léthargie, n'a pas saisi la véritable nature ainsi que la portée des révolutions des peuples arabes”, ajoute-t-il encore. Face à ce constat, Mokdad Sifi refuse dès lors de cautionner la démarche actuelle adoptée par le pouvoir pour dépasser la crise. “Vous comprendrez aisément les raisons qui m'ont amené à répondre de la sorte à votre invitation, car je n'aurais pas souhaité, en vous rencontrant, cautionner, par ma présence, la démarche retenue dans le cadre de vos consultations, démarche que je considère inappropriée face à l'enjeu éminemment politique de la crise. Démarche qui fera perdre un temps précieux au pays et susceptible, par ses atermoiements et temporisations, d'exacerber et de précipiter un dénouement violent de cette crise, dénouement que nous voudrions tous éviter à notre nation et à notre peuple”, écrit Sifi à celui dont il loue les positions patriotiques. Convaincu que le pays a plus que jamais besoin d'un changement radical, “maintenant et vite”, faute de quoi “il s'imposera par le chaos”, l'ancien Chef du gouvernement préconise l'instauration d'une période de transition, conduite par un gouvernement de transition représentatif adossé à un conseil des sages, chargé d'amender la Constitution, d'organiser des élections présidentielle et législatives et de veiller à libérer immédiatement le champ politique et le champ médiatique de toute entrave. L'armée, quant à elle, devra s'engager, selon lui, à accompagner ce processus et à œuvrer à son succès. “Nous vivons un moment historique où de graves responsabilités historiques doivent être assumées par nos gouvernants et par chacun de nous”, conclut la lettre. M. Sifi n'a pas manqué, par ailleurs, de demander à Bensalah de transmettre le message à “qui de droit”. “Vous êtes le mieux à même de le faire”, dit-il.