“Si l'on perd encore du temps, l'Algérie qu'on connaissait depuis 1962 sera éclatée.” Saïd Sadi nourrit de sérieuses appréhensions quant au maintien de la cohésion de la nation mise à mal par des dirigeants “plus préoccupés à sauver le système”. Cette funeste perspective, il la tire de ses discussions avec des citoyens de différentes régions du pays (Béchar, El-Oued, extrême-sud, Kabylie...) qui n'hésitent pas à afficher des intentions séparatistes. “Les dirigeants algériens sont incapables d'anticiper les problèmes”, assène-t-il à l'ouverture du conseil national du RCD, jeudi, au musée du Moudjahid, à Alger. “Il y a une situation pré-insurrectionnelle en Algérie. Près de 10 000 émeutes ont été enregistrées en 2010. Il ne faut pas se réjouir d'un débordement populaire mais, en même temps, on ne peut pas condamner des jeunes qui n'ont d'autres moyens d'expression que l'émeute. Le système est complètement bloqué”, déplore-t-il. Comment éviter alors le chaos ? “La solution, c'est la jeunesse. C'est elle qui sauvera le pays. C'est paradoxal, mais c'est chez cette jeunesse qu'il y a plus de disponibilité alors qu'elle est la plus intoxiquée par le régime”, explique Saïd Sadi qui a exhorté les cadres de son parti à redoubler d'effort en matière d'encadrement tout en les invitant à “réinventer les formes de lutte et faire preuve d'inventivité si l'on veut éviter le chaos”. Saïd Sadi ne croit pas à un possible changement de l'intérieur du système Pour Saïd Sadi, l'environnement international est favorable. “Notre conseil intervient dans une période politiquement déterminante et historiquement passionnante. C'est un moment capital pour le parti et essentiel pour l'avenir du pays. La situation politique nationale, régionale et internationale exige de nous une évolution, une adaptation”, explique-t-il. Aux yeux de Saïd Sadi, la lame de fond qui traverse l'hémisphère sud est “un moment historique beaucoup plus important que la chute du mur de Berlin”. “C'est un moment totalement inédit dans l'histoire qui a suivi la décolonisation. C'est pour la première fois que les grandes puissances ont compris qu'il ne s'agit plus de composer avec les pouvoirs mais d'enregistrer les aspirations des peuples. La levée en masse des citoyens du Sud a obligé les partenaires du Nord à réviser fondamentalement leur stratégie”, explique-t-il en se basant sur le dernier discours du président américain, Barack Obama. “Il est illusoire, vain et dangereux de croire qu'il peut y avoir l'ombre d'une solution à l'intérieur d'un système usé, discrédité et pris de panique”, affirme-t-il, non sans rappeler : “Il n'y a pas un seul parti algérien, y compris nous, qui n'a pas essayé de changer le système de l'intérieur. Ils ont tous conclu qu'il est impossible de faire bouger les choses de l'intérieur.” Et de montrer du doigt le manque de cohésion au sein du pouvoir. “D'une part, certains responsables assurent qu'il n'y a pas de crise politique mais juste des problèmes sociaux. D'autre part, le chef de l'Etat a annoncé des réformes politiques qualifiées de fondamentales. On est face à un pouvoir sans boussole”, dénonce Saïd Sadi qui n'accorde aucun crédit aux consultations menées par Abdelkader Bensalah. “Il n'y a aucune volonté d'associer un parti politique ou force sociale pour sortir le pays de l'impasse historique. C'est une manipulation pour gagner du temps. Nous sommes face à un système politique perdu, incapable de formuler une offre politique”, assène-t-il. Pourquoi l'Algérie n'a pas suivi l'exemple tunisien ? “C'est à cause de la régression morale et politique dans laquelle se trouve l'Algérie”, analyse-t-il. Pour lui, beaucoup d'Algériens ne souhaitent pas qu'il y ait changement de système. “Même s'ils ne sont pas au pouvoir, des segments entiers sont clientélisés et bénéficient du pouvoir actuel”, explique-t-il. L'armée ne trouve pas grâce à ses yeux, lui qui la qualifie d'“armée inculte et violente” et dépourvue de “culture politique”. Autre élément explicatif avancé par Sadi : l'absence d'une véritable opinion publique en Algérie, contrairement à la Tunisie et l'Egypte qui sont “des pays homogènes”. Conclusion : l'Algérie est beaucoup plus proche de la Libye, un pays tribalisé avec, à sa tête, une armée inculte, et de la Syrie, gérée par une dynastie familiale depuis plus de 40 ans. L'Algérie serait-elle donc à l'abri du vent révolutionnaire qui balaie les pays de la région ? “Il faut être aussi aveugle que les dirigeants algériens pour croire qu'un mouvement historique aussi massif s'arrêtera miraculeusement aux portes de l'Algérie. L'effondrement du système interviendra, c'est une évidence historique et une fatalité politique car il ne peut pas tenir en se contentant de distribuer de l'argent”, assène Saïd Sadi.