Le professeur Mohamed Tehmi est un personnage de Cronin perdu en Algérie. Perdu ? Franchement, quel fils de famille compétent, sérieux ne l'est pas dans cette Algérie dont les uns pansent les flancs meurtris quand les autres les mordent à pleines dents. Vous les avez vus ces vampires bedonnants qui bouffent ici, rapinent là, éructent bruyamment, rotent, volent la veuve et la violent avant de donner un coup de pied au derrière de l'orphelin ? Et pourtant, si tranchantes que soient les canines de ces vampires, ils n'auront point raison de l'Algérie. Tant qu'elle a des hommes qui la maintiennent debout vaille que vaille. Tehmi fait partie de ceux-là. Il a choisi son camp dès sa jeunesse. Le camp de ceux qui souffrent contre ceux qui font souffrir, le camp des victimes contre les bourreaux, le camp de ceux qui aiment l'Algérie contre ceux qui en profitent. Son rêve ? Une société plus juste. On voit l'idéaliste. Ne pouvant changer toute la société, il a décidé de changer ce qui peut l'être à son niveau, si modeste fut-il. Il sait qu'un homme qui croit vaut 100 neutres. Et lui croit. Alors, il se lance dans la médecine, non point pour en faire un fonds de commerce, mais pour soulager ses frères, pour leur donner de l'espoir, pour combattre la mort, même s'il sait qu'elle finira par triompher. Très vite, il se fait une place. Sa méthode ? L'empathie, l'écoute, l'humilité. Il se met toujours à la place du patient pour avoir ce double regard des sages : celui de l'autre et le sien. Ainsi, plonge-t-il au fond de la détresse du malade tout en gardant le regard distancié du praticien. Distancié, mais pas distant. Reconnu internationalement dans la cardiologie, Tehmi ne roule pas des mécaniques. La rumeur lui prête d'être le médecin traitant d'un président et de certains dignitaires du régime ? À la bonne heure. Il n'en tire d'ailleurs aucune gloire. Vous lui poserez la question, vous n'aurez aucune réponse. Juste un sourire. Le contraire de Benchikha et du onze national qui n'arrêtent pas de gloser même humiliés par le Maroc. Tehmi ne parle pas. Il travaille. Rien ne lui fait autant plaisir que de soigner ses malades, de les écouter et de voir dans leurs yeux un regain d'espoir. Qu'on soit riche ou pauvre, il consacre le même temps et la même attention. “La maladie ne choisit pas les classes sociales”, dit-il. On pourrait ajouter : lui aussi. Très tôt, il a fait de cette phrase de Pasteur son crédo : “Je ne te demande ni ta race, ni ta religion, ni tes origines, mais quelle est ta souffrance.” Chef du service cardiologie au CHU de Tizi Ouzou, Mohamed Tehmi n'est pas un patron froid et inaccessible, soignant sa réputation grâce à son habileté dans les salons où le faire savoir vaut mieux que le savoir-faire. Il est de ceux qui mettent la main à la pâte, donnant l'exemple. C'est un homme de terrain. Tout terrain même. Une sorte de 4X4 qu'il n'a pas et qu'il ne voudrait pas avoir. Le bling-bling, le m'as-tu-vu, ce n'est pas son style. D'ailleurs, il ne sait pas faire. Il a gardé la simplicité des grands sportifs dont le maître mot est l'équilibre. “J'essaie de toujours chercher le juste équilibre entre ma famille et mes malades.”Il a bien dit mes malades. Pour lui, ils existent. Ce ne sont ni des fantômes ni des objets, encore moins des sous. Mais des êtres humains. Mieux, des frères en souffrance. Il y a un mot de Sénèque qui résume la philosophie de Tehmi : “L'homme est sacré pour l'homme.” Dans cette Algérie qui frétille on ne sait de quoi, tous les Algériens doivent adopter cette profession de foi. Je sais que les beggara vont comprendre foie. Et ils auront raison. Eux n'ont qu'une foi, celle qu'ils mangent. Y compris quand ils reviennent de la Mecque… H. G. [email protected]