Régler le problème de gouvernance, en un mot, introduire des changements politiques en Algérie, constitue le préalable au développement économique, à une croissance forte, créatrice d'emplois et de richesses durables dans le pays. “Contrairement aux pays du Sud-Est asiatique, on n'enregistre pas en Algérie un désir, une volonté politique de booster la croissance économique. Il y a, en un mot, un désintérêt pour la croissance économique. On n'enregistre pas également de politique de changement crédible”, a souligné Najy Benhassine, économiste algérien, lors du déjeuner-débat, organisé hier par le Think Tank de Liberté : “Défendre l'entreprise”. Telles sont, en d'autres termes, les deux principales conclusions de sa conférence-débat intitulée : “L'expérience des pays du Sud-Est asiatique, quelles leçons sur l'Algérie ?” L'orateur relève que pour les pays pétroliers comme l'Algérie, le problème de fond est celui des réformes insuffisantes, d'une image d'absence de prévisibilité dans l'application des règles et des réformes, de la crédibilité des réformes. Trois points sont donc essentiels pour des réformes à plus grand impact : accroître la compétition dans les marchés (réforme bancaire, réforme du foncier, renforcer les institutions qui interagissent avec le secteur privé, institutionnaliser le processus de consultation public-privé et le processus des réformes. Il faut, sur ce dernier point, un organisme de coordination très fort, proche de l'Exécutif. Mais pourquoi cette croissance forte, ce développement du secteur privé ne se réalisent pas en Algérie et dans les autres pays arabes ? s'est-il interrogé. “Les revenus pétroliers jouent comme une désincitation aux réformes. Il n'y a pas ou insuffisamment de coordination intragouvernementale pour la mise en œuvre des réformes. Les incitations des organismes de l'Etat ne sont pas très alignées sur les objectifs de croissance”. En un mot, la rente pétrolière en Algérie tue la croissance, a-t-il soutenu. Contrairement à une idée reçue, il y a beaucoup de corruption et de gros problèmes de gouvernance dans les pays du Sud-Est asiatique, a souligné Najy Benhassine. Mais un trait commun caractérise ces pays : leur obsession pour la croissance. En Chine, il y a eu l'institutionnalisation de la croissance dans le parti communiste chinois (règles limitant le pouvoir central, l'arbitraire). Depuis l'investiture de Deng Xiaoping après la mort de Mao, il y a eu le renforcement des cadres locaux, un affaiblissement du pouvoir central exercé par le parti, une libéralisation du pays progressive, une obsession pour la croissance. Pour Najy Benhassine, les ingrédients de la croissance forte se résument ainsi : climat des investissements stable, crédible, prévisible, incitations aux services de la croissance, ouverture aux investissements étrangers, interventions de l'Etat pour corriger les inefficacités du marché, politiques industrielles de nouvelle génération, mécanismes d'évaluation pour corriger les politiques publiques. Le culte de l'évaluation est ainsi constant en Asie. Issad Rebrab : “nos gouvernants n'ont pas de vision” Issad Rebrab, P-DG de Cevital, au cours du débat, est intervenu sur la question de la crédibilité des institutions. La Chine a une vision à long terme. Sur les 5 000 premières entreprises dans le monde, 500 doivent être chinoises. Nos gouvernants n'ont aucune vision. Ils prennent des décisions et font le contraire sur le terrain. Ils ne respectent pas les lois. En Tunisie, on m'a proposé le terrain gratuitement, de m'exonérer de charges fiscales pendant dix ans. On subventionne mon investissement à 25% à partir de 800 000 euros engagés, chaque cadre tunisien recruté à raison de 200 euros/mois et chaque ouvrier tunisien à 60 euros/mois. Au Canada, si vous voulez investir, on vous offre 7,5 millions de dollars à fonds perdus. La Caisse d'investissement du Québec vous prête 30 millions de dollars à taux bonifiés et l'organisme fédéral 70 millions de dollars pour les fonds de roulement. À Blida, on m'a proposé le mètre carré à 200 euros, dans un port au Canada 3 dollars le mètre carré, à Fos-sur-Mer 18 euros le mètre carré. Qu'offre l'Aniref ? En fait, des petites parcelles aux enchères ou aujourd'hui en concessions. C'est le seul pays au monde où on fait des enchères publiques pour des terrains industriels. Pour le pays le plus vaste d'Afrique, on considère le foncier industriel comme une ressource rare. Selon le patron de Cevital, les positions dogmatiques de nos gouvernants bloquent les entrepreneurs. “Ce n'est pas les entrepreneurs qui manquent en Algérie. Le malheur en Algérie, c'est qu'on n'a pas de vision. On ne sait pas où on va ? Le plus gros problème de l'Algérie est idéologique. Les responsables qui nous gouvernent sont les mêmes qui ont gouverné pendant la période socialiste. Du point de vue idéologique, ils n'ont pas fait leur mutation. En Chine, on a dédiabolisé la création de richesses. Chez nous, on a peur des entrepreneurs du secteur privé. On veut tout contrôler. D'un côté, on affirme qu'il n'existe pas de distinction entre secteur privé et secteur public. De l'autre, sur injonction, on impose à des entreprises privées nationales qu'une entreprise d'Etat prenne 51% du capital dans un projet privé. Cela se passe en 2011 en Algérie. La décision est centralisée. Tout doit remonter au Président. En Chine, tout est décentralisé. Tant qu'il y a ce problème de confiance, on ne peut pas s'en sortir.” Quant à l'usage de la rente, les ressources naturelles pétrolières doivent servir au développement économique du pays, a-t-il affirmé. “On ne doit pas importer des produits consommables. Ces biens doivent être produits en Algérie. Il s'agit d'une création d'une richesse renouvelable.” Le P-DG de Cevital, du reste, a cité un facteur décisif de développement de ces pays asiatiques. “Outre la liberté d'entreprendre, c'est l'investissement dans la formation des hommes. Quelle est la meilleure école dans le monde ? Elle est sud-coréenne. Elle a les meilleurs professeurs, les meilleurs étudiants. Les professeurs sont les mieux payés et les plus reconnus.” Sur le rapport entre démocratie et croissance, Najy Benhassine a soutenu que le lien très fort entre progrès démocratiques et croissance n'est pas établi. Certains pays asiatiques sont des autocraties mais les responsables doivent rendre des comptes. La corruption en Chine est alignée sur les objectifs de croissance. Les cadres du parti communiste sont payés notamment en fonction des emplois créés. Cherif Belmihoub, membre du Think Tank “Défende l'entreprise”, a abordé la question de la réforme de l'Etat en Algérie. Il y a eu l'élaboration de 17 projets de loi et 47 décrets. Mais faute de consensus politique, elle n'a pas été mise en œuvre. Hamiani : “500 millards de dollars dépensés pour une croissance en deçÀ de la moyenne africaine” Dans une intervention pertinente, Réda Hamiani, le président du Forum des chefs d'entreprise, a observé que la politique actuelle n'est pas conduite avec objectivité. “Le modèle de développement dévolu au secteur privé est celui d'un secteur asservi, qui n'est pas reconnu comme acteur majeur sur le marché. On a cru pendant les dix dernières années que cette politique allait changer. Cela n'est pas le cas. Pendant 12 ans, le Forum des chefs d'entreprise n'a pas été invité à un thé par le président de la République. Avec le Premier ministre, le dialogue n'est pas un exemple. Nos décideurs ne sont pas imprégnés des réalités. On a effectué un énorme ratage : l'Etat a dépensé 500 milliards de dollars au cours des dix dernières années pour avoir un taux de croissance inférieur à la moyenne africaine.” Lamiri : “les ressources pétrolières sont très mal investies et très mal gérées” Quant au professeur Lamiri, membre du Think Tank “Défendre l'entreprise”, il observe que les décisions microéconomiques sont en contradiction avec la décision politique. “Les ressources pétrolières sont très mal investies et très mal gérées. On injecte 33% du PIB pour obtenir 5% de croissance. On a injecté 180 milliards de dollars dans les assainissements des entreprises publiques pour maintenir 400 000 emplois et un chiffre d'affaires de 15 milliards de dollars par an. Avec cet argent, on aurait pu monter toute une industrie avec un chiffre d'affaires de 80 milliards de dollars par an et créer 3,5 millions d'emplois.” En conclusion, le professeur Bouzidi, autre membre du Think Tank “Défendre l'entreprise”, a souligné que l'Algérie vit une crise de régulation. “L'Etat algérien ne sait pas réguler. Il procède par injonctions. Il est bureaucrate.” Pour l'économiste, le problème en Algérie n'est pas la réforme économique. “Tant qu'on n'aura pas une réforme politique, il n' y aura pas de développement économique, de croissance. L'Etat reste rentier. Il y a une lutte impitoyable entre la bureaucratie rentière et les capitaines d'industrie du secteur privé. On a peur de ces chefs d'entreprise. Ils frapperont aux portes du pouvoir, forts de l'émergence de 150 champions nationaux et 50 champions internationaux (l'idée les effraie).” Mais qui va faire bouger les choses ? Une centaine de Thinks Tanks, des faiseurs d'opinion, entre autres, suggère-t-il.