La Tunisie a ouvert hier le procès, en son absence, du président déchu Ben Ali qui, depuis son refuge en Arabie Saoudite, a contesté vigoureusement les accusations et dénoncé un procès visant, selon lui, à “détourner l'attention” des difficultés du pays. L'audience du tribunal de première instance de Tunis est la première d'une série d'actions en justice intentées contre l'ancien homme fort de la Tunisie, son épouse Leïla Trabelsi et son entourage. Dans ce premier volet des actions au civil, ce sont seulement Ben Ali et son épouse qui sont poursuivis, suite à la découverte de sommes très importantes en argent et en bijoux, ainsi que des armes et des stupéfiants dans deux palais. Le couple doit répondre au total de 273 affaires les concernant, eux et leurs proches, dont 182 dossiers sur le bureau du tribunal militaire. Il s'agit pour les juges militaires de déterminer les responsabilités dans la mort de manifestants. Devant les tribunaux civils, 93 affaires mettent en cause le président déchu et son épouse. Une leçon pour les autocrates arabes : longtemps maître tout puissant de la Tunisie, Ben Ali a été réduit au rôle de simple délinquant par la révolte populaire, tandis que sa seconde épouse, Leïla Trabelsi, est accusée d'avoir fait main basse sur des pans entiers de l'économie du pays. Spécialiste de sécurité militaire, formé à la prestigieuse école interarmes française de Saint-Cyr et à l'Ecole supérieure de renseignement et de sécurité aux Etats-Unis, expert en techniques de maintien de l'ordre, Ben Ali, membre de l'Internationale socialiste, était arrivé au pouvoir le 7 novembre 1987, en déposant le père de l'indépendance, Habib Bourguiba, malade et reclus dans son palais, dans ce qui a été qualifié de “coup d'Etat médical”, sans effusion de sang. Beaucoup de Tunisiens avaient alors salué en lui “le sauveur” d'un pays à la dérive, le créditant d'avoir jeté les bases d'une économie libérale et étouffé dans l'œuf le mouvement islamiste Ennahda, accusé de complot armé. Il aura, jusqu'au bout, été considéré par la communauté internationale occidentale comme un rempart contre les islamistes, voire même comme un exemple dans le monde arabe, y compris pour ses atteintes aux droits de l'homme. Chassez le naturel, il revient au galop : dès 1990, Ben Ali revêt son costume de dictateur et met le pays en coupe systématique avec l'aide de son épouse Leïla, une redoutable prédatrice, qui en un tour de main, a mis la main, avec son clan familial, sur des pans entiers de l'économie tunisienne. La suite est entrée dans l'histoire, le 15 décembre la Tunisie s'enflamme, un mois plus tard, le couple présidentiel s'enfuit en Arabie Saoudite. Le printemps arabe est né. Après 23 ans de règne, Ben Ali doit répondre sur une longue liste de sa gouvernance, des faits d'abus de pouvoir, de malversations, de trafic de drogue, de recel de pièces archéologiques et de détention d'armes. Bref, des affaires de grand délinquant. Les autorités de transition ont demandé son extradition d'Arabie Saoudite qui observe le mutisme, en s'appuyant sur l'accord interarabe signé à Riyad en 1983 qui prévoit l'extradition des personnes accusées de crimes. Parallèlement, les travaux se poursuivent pour établir l'inventaire exact des biens mal acquis par la famille du président déchu et de son épouse. Le président de la commission nationale chargée de la confiscation des biens, le juge Mohamed Adel Ben Ismaïl, a estimé que le volume de ces biens était tel qu'il représente un quart du volume de l'économie nationale !