Dans un contexte difficile de forte demande de changement politique, économique et social, l'auto saisine du Conseil national économique et social (CNES) de réunir les premiers états généraux de la société civile était un exercice particulièrement périlleux. En effet, le CNES, dans un contexte marqué par sa propre fragilisation résultant du non-renouvellement de sa composante et par un déficit de confiance largement répandu dans la société, se devait de relever trois défis majeurs pour la réussite de ces assises. Cela a été fait. Le premier défi était celui de la légitimité et de l'inclusivité de la représentation sociale et sociétale au sein de ces assises. Au-delà de la difficulté à trouver les “adresses” des leaders des divers mouvements ayant émergé de la contestation sociale, s'est ajoutée celle des critères de choix parmi les dizaines de milliers d'associations car les capacités logistiques d'accueil ne pouvaient dépasser un millier. En vertu de quoi, par exemple, Mohamed Amine Zemid, fondateur du réseau Face book “1,2,3, Viva l'Algérie”, regroupant 200 000 jeunes internautes algériens, aurait-il eu moins de légitimité à participer à ce Forum civil ? Mais pour l'avenir, il va falloir trouver les formes d'intégration pour les organisations qui auraient souhaité y participer et qui n'ont pas pu être invitées en y incluant, peut-être, un format préalable de regroupements régionaux et thématiques. Il fallait également veiller à une représentation territoriale équilibrée. Ce n'est pas chose aisée pour un pays continent comme le nôtre. J'ai pu constater concrètement qu'il en a été ainsi. Enfin, on peut même comprendre les réticences de quelques organisations qui ont décliné l'invitation tant le déficit de confiance est encore grand dans le pays. Il est vrai que beaucoup de travail reste à faire surtout dans ledomaine politique pour réduire ce gap. Mais ce n'est pas mon propos aujourd'hui. Le deuxième défi est celui des problématiques à privilégier dans cette rencontre inédite tant la société civile est diverse et plurielle dans ses préoccupations, ses attentes et ses propositions. Pour le CNES, il est vite apparu que, quels que soient l'association et le partenaire social, la demande de changement se polarisait autour de cinq questions essentielles. La qualité de la gouvernance d'abord est la mère de toutes les préoccupations et autres contraintes relevées : gouvernance institutionnelle et locale pour les associations, gouvernance économique pour les partenaires sociaux. La question de la durabilité et l'efficacité des systèmes de protection sociale et de solidarité pour les associations en charge des couches sociales les plus vulnérables (malades, toxicomanes, exclus de l'enseignement, vieillesse, enfance abandonnée etc.) est la question la plus récurrente relevée dans le champ social avec celle de l'emploi et du logement. La problématique spécifique de la jeunesse est rapidement apparue comme la plus sensible. Cette question se devait d'être traitée pour une fois par les représentants des concernés eux-mêmes en termes de contraintes à lever mais surtout en tant que ressource essentielle à préparer et à préserver pour l'avenir. La quatrième problématique lourde qui s'est également imposée est celle des mutations économiques vue par les partenaires sociaux et les élites économiques dans les aspects conjoncturels mais aussi dans le long terme. Enfin la question des formes d'émergence, d'action et de consolidation de la société civile se devait de faire l'objet d'un atelier spécifique pour pérenniser l'action. Ce dernier a tenu le pari de fédérer les participants autour d'une charte de la société civile adoptée en séance plénière. Le troisième défi est celui de la crédibilité et de la durabilité des effets de la tenue des ces premiers états généraux de la société civile. S'agissant de la crédibilité de l'exercice, Il faut rappeler que les plates-formes introductives, soumises par le CNES aux cinq ateliers, n'ont été qu'un prétexte au débat conduit en toute liberté par des bureaux élus. Je peux affirmer que les textes produits par les cinq ateliers sont d'une qualité exceptionnelle et le lecteur pourra en juger en visitant le site web dédié à cette rencontre. La raison en est simple. Lorsque l'on croise dans un débat démocratique les analyses des représentants de la société civile qui vivent au quotidien leurs diverses préoccupations avec celles des élites, universitaires notamment, on obtient des textes de qualité qui allient rigueur et opérationnalité. Le tout, à présent, est leur prise en compte par les pouvoirs publics. Sur ce registre, des inquiétudes ont été exprimées dans tous les ateliers, notamment dans celui consacré à la gouvernance lorsque les participants disent craindre que “ces rapports ne restent pas lettre morte.” L'atelier consacré à la société civile a, lui aussi, exprimé les mêmes types d'appréhensions puisqu'il recommande de “permaniser le cadre de la concertation de la société civile selon un cycle périodique”, de “mettre en place un cadre de suivi pour l'application des recommandations des états généraux” et de “créer une instance de la société civile type Observatoire ou Conseil national”. En vérité, ces premiers états généraux ont été plus loin en adoptant, en séance plénière de clôture, une “Charte de la société civile” demandant la constitutionnalisation du principe de la société civile comme élément constitutif de la nation. Avec en plus, la recommandation de lever “toutes les contraintes qui entravent les activités des associations et des organisations de la société civile”, on peut espérer qu'un grand pas vers l'instauration de la démocratie participative souhaitée par les assises sera franchi lorsque les mises en œuvre auront été initiées. Cela me fait rappeler, pour conclure, cette phrase de Jean Monet qui disait que “rien n'est possible sans les hommes mais rien n'est durable sans les institutions”. Cela est valable aussi pour ce nouveau contre- pouvoir qui émerge dans les pays modernes : celui de la société civile organisée.