Dans cet entretien express, Hocine Zehouane, invité comme personnalité nationale par la commission Bensalah, justifie sa décision de répondre à l'invitation et donne, par ailleurs,un aperçu des idées-force contenues dans le Manifeste remis à cette institution. Liberté : Vous êtes l'une des personnalités à avoir répondu favorablement à l'invitation de la commission Bensalah. Il n'y avait pas de votre part ou de celle des membres de la Laddh, une appréhension au vu de l'expérience des dialogues, initiés auparavant ? Me Zehouane : Je ne sais pas à quelles expériences de dialogue vous faites allusion. Pour ma part, je n'ai jamais participé à un échange ou engagement politique sans avoir auparavant évalué les partenaires et l'enjeu et m'être assuré de l'appropriation de mon sujet. Vous avez vu l'annonce. J'ai été invité en tant que “personnage national”, commissaire politique de l'ALN, défenseur des droits de l'Homme, avocat, c'est trop d'honneur ! J'aurais aimé être perçu comme l'homme du peuple, intellectuel et homme d'action et irascible dès qu'il s'agit des questions d'ascèse et de convictions. Bien sûr que nous avons discuté sérieusement avec mes camarades de la Laddh. Si sérieusement que nous avons demandé un report du rendez-vous avec la commission pour nous assurer de parfaire et d'actualiser un Manifeste dont nous portions l'esquisse depuis longtemps. Vous avez estimé, si je comprends bien, qu'il y avait un risque à prendre... ll Vous parlez de risques, lesquels ? Dès lors que l'on est assuré de son propre discours, que l'on a anticipé depuis longtemps sur l'analyse de situations, de quels risques peut-il s'agir ? Un vieil adage de notre histoire profonde dit : “Un émissaire ne doit avoir ni peur ni pudeur.” Nous étions les émissaires de cette conscience, certes diffuse, mais prégnante, impérative, impulsée par le sentiment que notre pays est de nouveau à un rendez-vous historique, en plein état de nécessité qui pousse à une vraie refondation nationale et non pas à de simples réformes, qu'une rupture “épistémologique” est nécessaire aux plans institutionnel, économique et social, que c'est urgent et que cela requiert de la maîtrise et une large synergie nationale pour le salut de la patrie ; c'est ce que nous avons voulu exprimer dans notre Manifeste que nous avons pris soin de mettre en exergue dès l'ouverture de la rencontre (j'y renvoie pour ceux qui n'ont pas pris connaissance sur notre site Internet www.algerie-laddh.org). Notre démarche est claire : nous partons de l'état de nécessité actuel dans le monde arabe et dans notre pays en particulier, caractérisé par l'impasse où se trouvent sociétés et régimes et qu'exprime cet état de transe et d'émeute dans lequel nous baignons tous. On dirait qu'une main invisible, un malin génie comme dirait Descartes s'emploie à l'échelle d'un continent à tout défaire. Nous nous sommes assurés d'une méthode de lecture, nous avons dressé un exposé des motifs et nous avons tiré des conclusions. Nous concluons à la refonte radicale de notre édifice institutionnel, à la mise en place de dispositifs immunitaires contre les vices rédhibitoires crisogènes de système, à la régulation autocentrée de notre économie et en toute urgence à la mise en place d'un standard social minimum garanti (SSMG) pour conjurer les démons de l'exclusion et de la détresse sociale générateurs de guerre civile et de décomposition citoyenne, oui ! Rien que cela. Il s'agit d'une révolution démocratique et sociale, s'il y a donc risque, c'est celui de se laisser tétaniser par les forces de l'immobilisme ou de nihilisme, ou de s'offrir une bonne conscience en se cantonnant sur des positions d'observateur. Dans votre Manifeste, remis aux membres de la commission, vous appelez à une refondation nationale algérienne. Dans les analyses de votre mémoire, vous avez donné quelques pistes pour passer d'une révolution nationale patriotique à une révolution démocratique et sociale. Quel est le préalable majeur dans le contexte actuel ? ll En traçant ces pistes comme vous dites, nous tirons notre argumentaire de ce que vous appelez le contexte ou de ce que nous avons en entrée, fidèles à notre approche méthodologique, nommé le réel rationnel ; vous voyez bien, ce ne sont pas des recettes de café de commerce. Ce réel-là, observé et analysé, nous dit que sociétés et régimes arabes, nous sommes dans l'impasse ; une impasse historique, et c'est pour cela que nous appelons à une refondation nationale, une refondation démocratique et sociale. Cela n'a rien d'effrayant au contraire, il est dans la nature du peuple algérien de rebondir et de renaître des pires situations dangereuses. Il y a dans ce pays beaucoup de jeunes, beaucoup de sang neuf pour nous reconstruire par un nouvel élan qualitatif vers une société ouverte, authentiquement démocratique et immunisée contre les risques de régression, et ce, par la mise en place d'institutions garde-fous. Vous me posez la question des préalables pour réussir de telles réalisations. Le préalable des préalables est la prise de conscience qu'il est impossible de survivre plus avant en tant que nation ; ce sentiment existe mais insuffisamment cristallisé en force d'organisation civique pour l'instant, le second préalable (en mineur) est de prendre la mesure que le temps est notre ennemi, les générations de l'indépendance sont dans l'impasse, il leur faut des perspectives, de la sécurité et de l'insertion citoyenne, le “trabendo”, le “harragisme”, les suicides sont l'expression de cette situation.