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“Nous avons la conviction d'avoir les bonnes cartes avec l'Algérie”
SE M. Franco Frattini, Ministre des Affaires Etrangères de la République Italienne à “Liberté”
Publié dans Liberté le 12 - 07 - 2011

La visite du MAE italien, Franco Frattini, même empreinte de beaucoup d'optimisme, n'en demeure pas moins une visite délicate à Alger.
Si M. Frattini plaide pour un autre sommet Berlusconi-Bouteflika avant la fin de l'année pour renforcer un partenariat stratégique jugé dynamique à Alger et à Rome, la position sur la Libye risque de provoquer quelques frictions que les deux capitales veulent désamorcer. À Alger, on est certainement habitué à découpler les dossiers, entre énergie et diplomatie afin de ne pas heurter un voisin italien qui a eu le mérite reconnu d'avoir été un partenaire fiable au moment où l'Algérie comptait ses amis. Dans cet entretien, M. Frattini ne se dérobe pas quant à la volonté de Rome de vouloir chasser Kadhafi du pouvoir.
Une approche qui n'a pas de partisans à Alger. Mais Rome peut aussi bien mettre sur la table la préférence “française” favorisée par les Algériens lors de la visite de Raffarin et qui a abouti à des contrats spectaculaires pour des entreprises françaises alors que les entreprises italiennes n'ont pas eu les mêmes faveurs “politiques”. Ce qui rend les explications de M. Frattini dans cet entretien plus édifiantes et sa visite hautement sensible.
Liberté : Plus de 150 compagnies italiennes, opérant dans divers secteurs comme les hydrocarbures, l'industrie manufacturière, le BTP et l'hydraulique sont actuellement présentes en Algérie. La coopération est très intense et l'Italie confirme sa position parmi les premiers partenaires de l'Algérie, deuxième client et deuxième fournisseur d'après les dernières données. Ceci étant, quels seraient les grands projets et les secteurs prioritaires que vous envisagez pour booster davantage cette coopération ?
SE Franco Frattini : La relation entre nos deux pays est solide et bien établie. L'Italie est, depuis de nombreuses années, parmi les tout premiers partenaires commerciaux de l'Algérie, avec une forte présence, traditionnellement, dans les secteurs de l'énergie et des travaux publics. Pour vous donner une idée de l'interdépendance qui caractérise nos relations, nous importons de votre pays près de 40% de nos besoins en gaz naturel. C'est une réalité structurelle qui n'est que marginalement affectée par les contrecoups des conjonctures économiques internationales.
Mais nous avons l'ambition d'aller plus loin et de développer un partenariat équilibré et à long terme, dans un ensemble de secteurs économiques bien plus ample et articulé, allant de l'agro-industrie aux énergies nouvelles et renouvelables, de la collaboration dans le développement de la petite et moyenne entreprise aux infrastructures et aux secteurs high-tech, comme celui des télécommunications.
L'Italie a tellement à offrir dans ce sens. Un des messages que je vais transmettre lors de mes rencontres à Alger sera donc de réaffirmer la volonté de l'Italie à développer le partenariat, à diversifier et à renforcer davantage sa présence économique en Algérie. Nous avons la conviction d'avoir les bonnes cartes, même en vertu de notre proximité géographique et culturelle, de nous proposer comme partenaires fiables et à long terme afin de viser ensemble l'objectif de créer des secteurs industriels stratégiques en Algérie. Je pense notamment à la construction navale, à l'économie des ports, à l'industrie agroalimentaire, à l'industrie ferroviaire. L'Italie n'a pas manqué ces derniers mois de présenter à l'Algérie des propositions de partenariat à long terme dans ces secteurs ainsi que dans d'autres.
Je tiens à souligner que la valeur ajoutée du “Système Italie” consiste non seulement dans la qualité de sa technologie, qui est d'une excellence absolue et notamment dans les secteurs que je viens de mentionner, mais aussi dans la capacité d'offrir une formation professionnelle et de transférer le savoir-faire. Un aspect dans lequel je perçois un potentiel extraordinaire de collaboration : il s'agit non seulement d'éléments-clés de la stratégie économique
algérienne mais aussi de la base du modus operandi de nos entreprises.
Après la mise en œuvre du Medgaz, les yeux se tournent désormais vers le Galsi. Où en est-on dans ce projet ?
Le Galsi est un projet majeur qui contribuera à la sécurité énergétique de l'Italie et, à travers l'Italie, de l'Europe dans son ensemble. Il y a eu quelques retards par rapport aux prévisions initiales dans le démarrage des travaux de réalisation. Des retards, je tiens à préciser, dus en grande partie à des questions techniques et indépendantes de la volonté des deux pays, qui n'a jamais manqué, pour acquérir cette infrastructure stratégique. L'intérêt des deux pays dans le projet a été confirmé lors de la visite à Alger de M. Romani, ministre italien du Développement économique, et nous sommes en train de résoudre les dernières questions administratives, de façon à respecter l'objectif de la mise en fonction du gazoduc à la fin de 2014. Je suis sûr que le projet connaîtra une importante accélération dans les prochains mois, et je suis ici pour réaffirmer notre volonté dans ce sens.
L'Algérie et l'Italie ont de tout temps partagé les mêmes principes et positions diplomatiques évidemment avec quelques différences d'approche. Aujourd'hui, la perception du Printemps arabe diffère et plus particulièrement concernant la gestion de la crise libyenne. Rome a officiellement reconnu le Conseil national de transition alors qu'Alger plaide pour une solution politique qui sauvegarderait l'unité libyenne. Peut-on savoir aujourd'hui, plus de trois mois après le début des frappes aériennes de l'Otan, quelle est, du point de vue italien, l'issue à la crise libyenne ?
La ligne politique suivie par l'Italie sur la crise libyenne s'est fondée sur certains principes qui sont traditionnellement à la base des choix de la politique étrangère italienne : la protection des civils ; le soutien humanitaire au peuple libyen, durement touché par le conflit, et à ses aspirations légitimes à la démocratie et à la liberté ; le respect du droit international et une coordination étroite avec les principaux partenaires internationaux et régionaux.
Nous savons que beaucoup de nos préoccupations au sujet de la crise libyenne sont partagées par la plupart de la communauté internationale, y compris l'Algérie. Nous avons toujours souligné que la résolution de la crise ne peut être militaire, mais politique, par une fin immédiate du conflit et le début d'un processus inclusif de réconciliation nationale et de démocratisation, qui puisse garantir l'unité du pays et le respect des traités internationaux de la part de la nouvelle Libye. Tout cela implique bien sûr le départ de Kadhafi, qui a commis des crimes atroces contre le peuple libyen — comme le confirme la décision de la CPI d'émettre des mandats d'arrêt internationaux contre lui ainsi que son fils Saïf Al-Islam et le chef des Services de Tripoli, Al-Senoussi — perdant ainsi toute légitimité. À cet égard, je note avec satisfaction certaines références dans les conclusions de la réunion de Malabo de l'Union africaine, notamment là où il est dit que des efforts devraient être déployés pour une solution politique et que le départ constitue une condition préalable.
Dans ce contexte s'inscrit la reconnaissance, de la part de l'Italie, du CNT, qui est le seul représentant légitime du peuple libyen et de ses aspirations à la liberté et à la démocratie. Il s'agit, là aussi, d'un choix que nous partageons avec de nombreux partenaires : le CNT est maintenant reconnu par 18 pays (plus récemment l'Allemagne, le Canada, le Danemark et la Turquie), la plupart des acteurs internationaux ont établi des contacts avec les autorités à Benghazi, l'ONU et l'UE ont ouvert des bureaux de représentation en Cyrénaïque.
Rome a reconnu le CNT en tant qu'interlocuteur du peuple libyen alors qu'on ne connaît pas le véritable projet politique de cette structure qui semble pencher vers un Etat islamiste semblable à celui du Soudan. Qu'en pensez-vous surtout que certaines voix dans l'Occident souhaiteraient une alternative à la turque aux régimes arabes ?
Comme j'ai pu le constater personnellement au cours de ma récente visite à Benghazi, le CNT se montre tout à fait crédible et animé par un désir sincère de réaliser les aspirations démocratiques du peuple libyen, comme en témoignent les lignes directrices lors de la phase de transition et du processus politique du post-conflit élaborées par le CNT dans ses documents “A Roadmap for Libya” et “The Road to Democratic Libya”. C'est un engagement clair envers l'établissement d'une nouvelle Libye unie, démocratique, vouée à la lutte contre toute forme d'extrémisme et de terrorisme international. Ces mêmes engagements ont d'ailleurs été réaffirmés à travers la récente signature par le CNT, le 17 juin dernier à Naples, d'un protocole bilatéral réitérant l'engagement à lutter ensemble contre le crime organisé, les réseaux terroristes internationaux et l'immigration illégale. Cette évaluation positive de l'attitude de l'Autorité de Benghazi, ainsi que de l'enthousiasme et de la détermination de la population libyenne est partagée par la haute représentante, Ashton, mes homologues européens et les représentants des organisations internationales qui se sont rendus en Cyrénaïque ces dernier mois.
La chute du régime de Ben Ali en Tunisie a provoqué un exode des populations dont le premier pays d'accueil a été l'Italie en raison de la proximité géographique. Cette situation a remis sur la table la question de la libre circulation des personnes en Europe et posé en termes clairs l'efficacité du système Schengen. Quelle est, selon vous, les risques de voir disparaître l'espace Schengen et comment voyez-vous le futur des relations avec les pays de la rive sud à la lumière des dernières mesures restrictives en termes de délivrance de visa ?
La libre circulation des personnes est l'une des réalisations les plus concrètes de l'intégration européenne. Pas question de faire marche arrière. Il s'agit plutôt de mieux garantir ce droit, surtout dans des circonstances exceptionnelles, en garantissant les conditions de sécurité nécessaires. Il faudra en particulier mettre en place “un mécanisme de sauvegarde” au niveau européen pour aider un Etat membre soumis à une forte pression aux frontières extérieures et évaluer la nécessité, en tout dernier ressort, de réintroduire des contrôles temporaires aux frontières intérieures. Bien entendu, sans porter atteinte au principe de la libre circulation. En même temps, je suis convaincu qu'une politique migratoire réussie commence “en dehors de nos frontières”. Pour cette raison, les nouveaux partenariats de l'Union européenne avec les pays du voisinage méridional se proposent de relancer entre autres la migration légale, la mobilité et la sécurité. Il n'y a aucune mesure restrictive envisagée sur les visas, bien au contraire, nous sommes en train de négocier avec les autorités algériennes un accord qui devrait permettre la simplification des procédures pour la délivrance de visas de longue durée en faveur des hommes d'affaires et des représentants du monde académique et culturel des deux pays.
Sur le plan des relations algéro-italiennes, la visite d'Etat en Algérie du président du Conseil Silvio Berlusconi dans le cadre du deuxième sommet bilatéral, prévue pour le mois d'octobre dernier, a été reportée. Le projet tient-il toujours ?
Certainement. Nous avons toujours l'intention de tenir le deuxième Sommet bilatéral et nous sommes convaincus de la nécessité de poursuivre le chemin pour la création d'un véritable partenariat stratégique algéro-italien. Nous avons beaucoup de thèmes politiques d'une importance cruciale à traiter au plus haut niveau ainsi que de nombreux accords de collaboration (dans le domaine des transports, des investissements, de la protection civile, etc.) qui sont prêts à la signature. Le sommet donnera une forte impulsion aux relations bilatérales, qui sont déjà excellentes. Nous allons proposer aux autorités algériennes d'organiser le sommet avant la fin de l'année et j'espère que nous pourront nous accorder au plus tôt sur une date convenable aux deux gouvernements.


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