Le torchon brûle entre les acteurs de la révolution et l'armée. Profonds désaccords sur l'Egypte post-Moubarak. Tandis que la société civile exige la démocratie universelle et le jugement de l'ex-pharaon du Caire, les militaires, eux, veulent se contenter d'un saupoudrage. Peut-on rafraÎchir une dictature ? La problématique est sur toutes les lèvres des opinions arabes qui attendent beaucoup des printemps inaugurés par leurs homologues tunisiens et égyptiens. Des dizaines de milliers d'Egyptiens ont continué à manifester dans la journée d'hier, place Tahrir au Caire, l'épicentre de la révolution, à Suez d'où était parti le mouvement révolutionnaire et à Alexandrie, la deuxième ville du pays toujours frondeuse. Moubarak, ses enfants et les figures emblématiques de son clan ont, certes, quitté la scène mais leur zeste restent intact. Les Egyptiens protestent contre les mesures proposées par le gouvernement et le Conseil suprême des forces armées qu'ils jugent insuffisantes sur les réformes et la poursuite des anciens responsables accusés de dilapidation de biens publics et de corruption. Pour la première fois depuis le renversement du président Moubarak, la rue est ouvertement en conflit avec le nouveau pouvoir, personnifié par un gouvernement civil désigné par l'armée qui dirige de fait la transition. Les manifestants ont rejeté comme insuffisant le train de mesures proposé par le Premier ministre Essam Charaf. Un package concocté par le Conseil suprême des forces armées composé d'une vingtaine de généraux dirigés par le maréchal Hussein Tantaoui, qui dispose des prérogatives du président de la République et du Parlement. Essam Charaf s'était engagé mardi à purger la police, dans les 24 heures, des éléments accusés d'avoir ordonné de tirer ou tiré sur les manifestants durant la révolution du Nil. D'après les chiffres officiels, près de 850 civils ont été tués et 6 000 blessés dans les affrontements survenus lors de la révolte populaire. Le Premier ministre a aussi promis des “procès ouverts” et “conduits sans délais” pour les responsables de l'ancien régime accusés de corruption, afin de répondre aux critiques sur les lenteurs et l'opacité de la justice dans ces affaires. Essam Charaf aurait demandé la démission de plusieurs ministres ayant exercé des fonctions sous le régime de Hosni Moubarak. Pour faire montre de sincérité, il a ainsi débarqué de son équipe le vice-Premier ministre Yahia Al-Gamal et le ministre de l'Intérieur Mansour Issaoui. Il s'est engagé à remanier de fonds en comble son gouvernement dans les jours qui viennent. “J'ai ordonné un remaniement ministériel d'ici une semaine pour répondre aux demandes de la révolution et refléter la volonté réelle du peuple”, a-t-il annoncé lors de son allocution télévisée. Le Conseil suprême de la magistrature qui a confirmé que les procès du système Moubarak allaient être accélérés, a diffusé des procès d'anciens responsables du régime, tenus à huit clos. Les concessions faites par les successeurs du pharaon du Caire après quatre jours de manifestations successives, n'ont pas convaincu la rue. Les organisations de la société civile et formations politiques à l'origine de ces rassemblements sont décidés à aller jusqu'au bout de la révolution. Le procès de Hosni Moubarak et ses deux fils, Alaa Moubarak et Gamal Moubarak, doit s'ouvrir le 3 août, mais la place Tahrir a estimé que le Conseil militaire suprême est peu disposé à faire asseoir l'ancien chef d'Etat dans le box des accusés. Dans un message télévisé, les militaires ont déclaré mardi qu'ils ne renonceraient pas à leur rôle dans la gestion des affaires du pays durant cette période critique de l'histoire de l'Egypte, et ils ont également prévenu contre “la dérive de certains manifestants par rapport à une approche pacifique, qui porte atteinte aux intérêts de la population et fait obstruction aux institutions de l'Etat”. Ce qui a ravivé la colère des manifestants. Peut-on faire du neuf avec du vieux ? La question se pose dans tous les pays arabes.