S'il est encore aisé d'aller à Tabarka, la ville balnéaire tunisienne, l'appréhension de se voir pris dans le tourbillon de la violence qui secoue depuis janvier dernier ce pays frère est là. De leur côté, les autorités tunisiennes multiplient les initiatives afin de dissiper les inquiétudes et inciter les touristes, algériens notamment, à “sauver” ce qui peut l'être de leur saison estivale. En vue de dresser un état des lieux, une virée depuis Annaba jusqu'au poste-frontière d'Oum Teboul, côté algérien, et de là à celui tunisien de Melloula était nécessaire. Le trajet entre la station de taxis de Sidi Brahim de Annaba et El-Kala, via le CW109, plutôt que par la RN44, vaut le détour à bien des égards. Il permet entre autres au voyageur de se délecter de la vue du magnifique couvert végétal d'El-Mouissa et des lacs El-Mallah et Oubeira. Passé le cap de la dernière ville touristique algérienne, qui connaît, soit dit en passant, une affluence particulière cette année, notre chauffeur s'engage sur la RN44 en direction d'Oum Teboul. Le flux automobile est pour ainsi dire insignifiant à partir de là. Autant dans le sens de l'aller que du retour. Nous remarquons que la plupart des véhicules que nous croisons sont immatriculés en Tunisie et cela peut paraître choquant pour celui qui a voyagé sur ce tronçon de route en pareille saison. La tradition nous avait habitué à l'inverse, car les ressortissants tunisiens, à l'exception de ceux qui ont des parents ou des alliés de ce côté-ci, ne traversaient que rarement leurs propres frontières. Comme s'il avait lu dans mes pensées l'un des passagers, apparemment averti de ce qui se passe dans le pays de la Révolution du jasmin me signale que les Tunisiens sont de plus en plus nombreux à venir en Algérie pour s'approvisionner. Un flux de 200 touristes algériens/jour contre 10 000 en 2010 à Oum Teboul Selon Samir, c'est son prénom, ces derniers viennent surtout acheter de l'essence ou du gazole dans les stations-services locales, le prix du carburant y étant nettement moins cher. Il nous apprend que les 20 litres d'essence, par exemple, coûtent environ 26 DA tunisiens, l'équivalent de 1690 DA et qu'à ce prix, les automobilistes ne se bousculent pas à la pompe préférant recourir au marché informel qui est alimenté par les “hallabas” d'El-Tarf et de Bouhadjar dans la wilaya de Souk-Ahras qui sont en train d'opérer une véritable saignée à l'économie nationale. “Entre El-Kef et Testour, il y a plus d'une dizaine de points de vente, qui proposent sans gêne aucune aux automobilistes de passage toutes sortes de carburants, ça va de l'essence normale, au sans plomb, gazole à des prix défiant toute concurrence. Rendez-vous compte, 20 litres de cette même essence sont proposés à 16 dinars tunisiens ! Ainsi les automobilistes ne se privent pas de remplir leurs réservoirs d'essence qu'on ne trouve que difficilement chez nous, comme ça a été le cas durant les trois dernières semaines à travers toute la wilaya de Annaba”, s'indigne notre interlocuteur. Au fur et à mesure que nous approchons de la localité d'Oum Teboul, le trafic devient quasiment nul. Une fois arrivé au niveau du poste de contrôle, à midi sonnante, qu'elle ne fut notre étonnement de constater que seule une dizaine de véhicules sont stationnés à l'extérieur des locaux de la PAF. Leurs occupants, un peu plus de trente personnes apparemment très à l'aise, attendent d'être traitées par des policiers pas bousculés du tout et souriants. Une atmosphère de quiétude qui tranche singulièrement avec celle exaspérante, qui a de tout temps prévalu durant les périodes de vacances, ici. Nous apprenons que c'est exactement la même fréquence de passage depuis le début du mois de juillet. “Les touristes boudent la Tunisie et cela se comprend avec toutes ces informations alarmantes qui parviennent de là-bas ne sont pour encourager à y aller en vacances”, nous dit un autre de nos compagnons de voyage qui précise qu'en ce qui le concerne, il aurait volontiers évité cette aventure, mais qu'il n'a pas le choix, il doit rendre visite à l'une de ses sœurs mariées à Menzel Bourguiba. Un des policiers nous signale que l'on est bien loin des 500 à 600 véhicules et des 10 000 passages quotidiens entre visiteurs entrants et sortants des années écoulées. “Nous enregistrons moins de 800 personnes au transit par ce poste et encore”, semble regretter le pafiste. Se confiant, il nous fait remarquer que ces chiffres doivent être analysés, pourtant, n'étant pas indicatifs d'un flux touristique véritable. “Quelque chose comme 70% des personnes enregistrées à l'entrée sont d'origine tunisienne. Ce sont pour la plupart des habitants des villes proches de la bande frontalière qui viennent faire leur marché à Annaba ou à El Kala. Il en est même qui vont un peu plus loin pour leurs achats. Certains se rendent jusqu'à Tadjenanet, Aïn M'lila ou à El-Eulma, attirés par les bonnes affaires qu'ils peuvent y dénicher, des effets vestimentaires et du matériel de cuisine en général”, précisera-t-il. Important flux de Tunisiens pour s'approvisionner à l'Est algérien Les douaniers algériens, pour leur part ne relèvent aucune entorse à la réglementation, s'agissant de l'effervescence des “baznassa” tunisiens ; ils assurent, au contraire, que si trafic il y a, ce serait plutôt par les chemins de traverse, en des endroits qui ne seraient pas surveillés en permanence par les GGF et les brigades mobiles du corps. Les formalités d'usage effectuées, nous nous rendons vers l'autre poste-frontière, celui de Melloula, à un jet de pierre de la ville de Tabarka la tunisienne, où il n'y a pratiquement personne, part des fonctionnaires de la police et des douanes. À notre approche, deux pafistes qui papotaient en dehors des locaux et se dirigent d'un pas alerte vers les guichets de contrôle. Avenants, les deux policiers nous “traitent” avec courtoisie, comme nous l'ont prédit les Algériens que nous avons rencontrés à la sortie d'Oum Teboul. Conscients de la situation pénible que traverse leur pays, les fonctionnaires de faction, savent pertinemment que chacun d'entre eux à un rôle déterminant à jouer pour mettre en confiance les éventuels touristes et tout particulièrement les centaines de milliers d'Algériens sur lesquels ils tablent plus que tous autres pour réussir le pari de relancer leur saison. C'est par eux que nous sommes informés de la présence en force en Tunisie de Libyens, qui ont élu domicile aux côtés des relativement nombreux touristes allemands, italiens, britanniques et français, dans les hôtels de Hammamet, Sousse et Nabeul. Mais ces touristes-là ne sauraient à eux seuls participer du pari des “janvieristes”, comme on les appelle désormais ; les Algériens ayant prouvé que leur apport est beaucoup plus conséquent pour l'économie locale, de l'avis d'un douanier. Alors que nous étions en train de discuter de cela justement un couple d'Algériens à bord d'une berline Chevrolet se présente au guichet de la sortie. Comprenant que nous étions nous-mêmes des compatriotes, le mari se rapproche de nous et nous confia qu'il avait fait le trajet inverse il n'y a pas longtemps, deux heures auparavant. Visiblement inquiet, il nous recommandera de faire attention en quittant Melloula et Tabarka. Contrebande et manifestations populaires “Il y a des manifestations populaires qui ont lieu en ce moment même sur la route P7 menant vers l'intérieur du pays, les gens sont très en colère, ils bloquent la circulation et menacent de tout casser. Nous avons eu peur et nous avons préféré rentrer ma femme et moi, alors que d'autres automobilistes ont emprunté des chemins détournés pour rejoindre la capitale Tunis”, nous dira cet homme qui aura fait tout ce trajet pour rien. Un samedi ordinaire dans la Tunisie d'aujourd'hui, nous lancera un quinquagénaire, tunisien quant à lui, qui avait tout entendu, mais qui contrairement à nous poursuivra son voyage. D'autres touristes algériens affirment avoir subi des agressions.