Les émeutes, qui éclatent un peu partout dans le pays chaque fois que des listes d'attribution de logements sociaux sont affichées, sont une preuve suffisante pour dire qu'il y a une crise du logement. Mais l'Algérie a les moyens d'éradiquer le problème dans la décennie à venir. C'est l'une des conclusions préliminaires tirées par Mme Raquel Rolnik, la rapporteuse de l'ONU, à l'issue de sa visite de dix jours en Algérie. Dans la conférence de presse qu'elle a animée hier au siège du bureau de cette organisation à Alger, l'envoyée spéciale a tenu à préciser que sa mission, répondant à une invitation du gouvernement algérien, s'est effectuée en toute indépendance. Elle a rencontré les autorités locales, les ministres des AE, de l'Habitat, de l'Agriculture ainsi que des équipes des ministères de la Justice, du Travail, de l'emploi, de la Sécurité sociale, de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, le Cnes et la commission consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme. Elle s'est déplacée dans les wilayas d'Alger, d'Oran, de Blida et de Boumerdès et s'est également entretenue avec les différentes institutions de l'ONU et des représentants des missions diplomatiques, des représentants de la société civile, des ONG, des syndicats, académiciens et experts de la question du logement. C'est donc en initiée du dossier du logement que la missionnaire onusienne a présenté un certain nombre d'observations portées, selon elle, à la connaissance du gouvernement. Dans son rapport, elle dresse la situation du logement en Algérie soulignant “l'effort important déployé au cours des dix dernières années en matière de production de logements en milieu urbain et rural et notamment le logement social gratuit et l'importante inversion budgétaire de l'Etat dans ce domaine avec 17,4% du budget national pour le quinquennat 2010/2014”. Comme elle a noté l'importance du compromis de l'Etat en matière de logement tout particulièrement dans un contexte international caractérisé par le désengagement des Etats dans cette question. “J'ai été frappée de voir que la conception du logement comme étant un droit fondamental est très profondément enracinée dans la société algérienne et comment l'Etat considère la question du logement comme l'une des responsabilités principales envers la population alors que le droit au logement n'est plus reconnu comme un droit constitutionnel”, constate la rapporteuse. Tout en rappelant les aléas qui ont présidé au déficit en logement, situation héritée de l'époque coloniale, les effets du réajustement économique imposé suite à la baisse du prix du pétrole dans les années 1980 et la décennie noire entre autres, l'experte a fait part d'une série de problématiques comme le surpeuplement dans les logements qui ne conviennent pas à la taille des familles, l'existence d'un nombre important de bidonvilles et de formes d'habitat spontané, la spéculation sur les prix du loyer, les expulsions du logement d'urgence censé être transitoire, le dépérissement du vieux bâti, un pourcentage important du parc du logement inoccupé qui représente 14% à l'échelle nationale, soit environ un million de logements. Démocratiser, c'est réussir les réformes L'autre remarque négative de la rapporteuse onusienne est de constater que l'Etat focalise sur la construction de nouvelles unités de logements en fonction de la disponibilité du terrain public et de critères d'éligibilité définis dans les différents programmes qu'il a établis. Autrement dit, les objectifs quantitatifs ont été établis en absence d'une évaluation préalable des différentes nécessités qui existent dans le pays en matière de logement et le programme RHP se trouve du coup non basé sur les nécessités des personnes mal logées. Cette politique, selon la rapporteuse, a promu un produit unique qui ne répond pas aux différentes nécessités exigées. Pour la conférencière, il reste des efforts à fournir pour éviter “l'opacité de cette politique perçue, à cause du manque de participation et de communication, comme une porte ouverte sur le clientélisme et la corruption, ce qui se traduit par un climat de soupçon et de manque de confiance de la part de la population dont témoignent les émeutes qui régulièrement explosent suite à l'affichage des listes des attributaires de logements sociaux”. Des cas de discrimination ont été relevés dans le rapport de la missionnaire comme celle à l'égard des femmes, malgré la réforme du code de la famille en 2005. “Les femmes divorcées et veuves sont particulièrement vulnérables à la discrimination en matière d'accès au logement. Les dossiers de demandes de logement de femmes célibataires ne sont souvent même pas reçus par les commissions d'attribution du logement social et très rarement des logements sociaux sont attribués aux femmes célibataires”, indique l'intervenante. Cette dernière a reçu lors de sa visite des cas d'expulsions qui résulteraient souvent d'actions judiciaires entamées par des privés envers les locataires. Elle note avec préoccupation l'absence de toute forme de régularisation du marché de la location de la part de l'Etat. Elle recommande dans ce cas une réglementation du marché des loyers. Pour ce qui est de l'éradication des bidonvilles, tout en louant les efforts de l'Etat, la rapporteuse recommande d'accompagner cette politique par des politiques visant, en attendant le relogement, l'amélioration des conditions de vie car, en effet, un temps important peut s'écouler entre le moment où les recensements ont lieu et l'attribution aux bénéficiaires. Mme Rolnik estime en conclusion “qu'une démocratisation de la politique de logement, basée sur la participation directe des citoyennes, des citoyens et des organisations de la société civile dans la définition et l'application de cette politique, serait un pas très important pour réaliser les promesses de réformes annoncées par l'Etat”.