Des centaines d'Egyptiens continuent à braver les fortes chaleurs pour manifester contre le Conseil militaire au pouvoir, refusant de démanteler le campement qu'ils ont installé il y a deux semaines à la place Tahrir. La nouveauté est dans la collaboration qui se dessine entre les islamistes et l'armée. “Touche pas à mon armée”. Le coup d'envoi de cette alliance qui ne dit pas son nom a été annoncé le 23 juillet, par le guide suprême des Frères musulmans en personne. Sa déclaration tombait au moment où le Conseil suprême des forces armées était sous le feu des critiques des révolutionnaires radicaux. Mohammed Badie affirmait : “Nous défendrons toujours l'armée et l'armée nous défendra.” Un soutien qui marque un vrai changement dans le paysage politique égyptien. Jusqu'à la grande manifestation du vendredi 8 juillet, les Frères musulmans et les révolutionnaires semblaient avancer main dans la main. L'entente entre ceux qui avaient réussi à renverser l'ex-Pharaon du Caire grâce aux efforts conjugués de la majeure partie de la population, y compris les islamistes, mais aussi grâce à la neutralité de l'armée, commence-t-elle à s'effilocher ? Premiers couacs : les responsables de la confrérie des Frères musulmans ont ordonné à leurs troupes de se retirer de la place Tahrir et des autres places d'Alexandrie, de Suez et d'ailleurs. Le motif invoqué : le gouvernement et l'armée ont accédé à de nombreuses revendications de la révolution, il faut maintenant leur laisser la chance d'agir. “L'occupation des places est contre-productive”, a prêché leur guide qui est invité à tous les débats organisés par les medias publics ! Des propos qui vont dans le sens des avertissements de l'armée aux acteurs du printemps égyptien, à qui elle n'a cesse de demander l'évacuation des places pour que “la roue de la production puisse tourner”. La position des Frères musulmans n'a pas étonné dans les milieux démocratiques du Caire, pour lesquels les volte-face sont typiques de la mouvance islamique. L'entrisme est leur politique. Par ailleurs, les Frères musulmans étaient absents au premier jour de la révolution, le mardi 25 janvier. Ils ne l'ont, en fait, rejointe que le vendredi 28 janvier, lorsque le pouvoir de Moubarak a commencé à vaciller. Très vite, l'armée qui jouait les arbitres, fait les yeux doux pour les islamistes qui sont hostiles à la libération de la société, à la promotion d'une démocratie authentique. L'armée aura attendu le départ de Moubarak pour se rapprocher ouvertement des Frères musulmans. Elle avait nommé Tarek El-Bashri, un proche de la confrérie, à la tête d'une commission chargée d'amender la Constitution. C'est grâce à l'appui des islamistes que le référendum sur les amendements de la Constitution est passé en mars dernier. Les Frères musulmans mais aussi les autres composantes du courant islamiste, les salafistes et la Jamaâ Islamiya avaient milité en faveur des amendements proposés par l'armée. Les animateurs de la révolution du 25 janvier avaient essayé de renverser le calendrier prévu par le référendum : législatives suivies de la rédaction de la Constitution. Le référendum voulu par l'armée prévoit la nomination par le Parlement d'une Assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle Constitution avant l'élection présidentielle. Or, dans les conditions actuelles, toute élection serait en faveur des islamistes. En prenant des distances à l'égard des occupations de places, les Frères musulmans espèrent du coup apparaître comme la force pouvant apporter la stabilité au pays tout en contrôlant les salafistes et les violents repentis de la Jamaâ Islamiya. Un signal pour les classes modernistes qui s'étaient détachés de l'emprise politique de l'islamisme, une position que les Frères musulmans espèrent voir payée en retour par une victoire lors des législatives et sénatoriales, prévues entre octobre et novembre de cette année. Cette fois, ils espèrent bénéficier de toute l'onction de l'armée.